Da: Traverses, 33/34, Minuit, Paris, 1985, pp. 234-245.
«Je me place au point précis où la science touche à la folie et je ne puis mettre de garde-fous. Continuez.»
Balzac, Théorie de la démarche
Ouverture 1
Politique feuilleton
On était résigné ou comblé: le mythe politique n’était plus que feuilleton. Comme tout mythe la marge de transformation de son armature n’est pas illimitée. Il arrive un moment où l’information portée par les catégories qui s’y investissent s’épuise dans les variantes. Les écarts significatifs s’amoindrissent, et le mythe qui avait articulé l’espace du sens, survit à la seule condition de se répéter dans le temps: comme feuilleton. Les médias se chargent à toute heure de surexposer cette forme vidée.
Mais il semble qu’il n’en soit rien. Las de la politique, nous voudrions rejouer le Politique. Une nostalgie se fait jour, du pouvoir héroïque capable de projeter l’ombre de sa forme sur les nuages du social, le regret d’un charisme, d’une valeur symbolique capable de fonctionner comme raison supplémentaire à la raison et d’accomplir le travail de péréquation des diversités du social. L’année 84 a vu pointer le désir d’un «poids de puissance», qui impose des cadres, met en perspective, rend l’espace de vérité homogène et calculable. Tandis que les historiens se passionnent pour la thaumaturgie des rois, on songe sous le nom discret d’efficacité à une autorité véritable, voire inattaquable même lorsqu’elle commet l’injustice. Qu’en sera-t-il demain ? Et qu’en est-il aujourd’hui de ces affects, si la lutte menée contre l’autonomie du politique a si bien réussi à le socialiser que la société s’en est trouvée en retour dépolitisée ?
Comment maintenir le décalage entre le meilleur des mondes et ce monde, dans une société où la distinction entre amis et ennemis s’estompe, et les modalités du contrat et de la lutte intestine et extérieure, se font indécidables ?
Comment faire fonctionner dans une société de simulation généralisée les régimes de vérité dont le politique a toujours été porteur (quoique la prétention à ia transparence, à l’universel démasquage ait plutôt abouti à masquer la société) ? Est-il encore soutenable que la liberté dans le secret se mue en secret de la liberté ?
Où situer les «masses libres» qui jadis exprimaient les tendances anarchiques du régime démocratique par des demandes puissantes d’autorité et qui assourdissent aujourd’hui les politiciens par leur silence, la perte d’homogénéité de leurs espaces, l’acentrisme irréductible de leurs réseaux ? Quel rôle y jouent les individus ou les singularités ?
Comment vérifier, par comparaison et contraste, l’impression de déréalité du contrat entre le social et le pouvoir ? Un contrat à basse fidélité, amphibologique, auquel le sujet participe avec un sentiment d’absence, d’indicible retrait, tandis que le pouvoir y joue jusqu’à l’épuisement une surenchère de signes1 (son feuilleton), mais produisant une «schizmogenèse complémentaire» (Bateson): plus je communique et plus nous nous éloignons. Est-ce ici la source de «l’hétérogénèse des buts» politiques (Machiavel), qui finit par escamoter toute intention ou la faire tomber à plat, comme par une ironique antiphrase objective, au-delà de toute résistance ?
Peut-on interroger (une question est déjà réponse à un problème) la fausse assurance du politique qui asserte sa durée illimitée: à partir des zones de conflit, il y aurait indéfiniment création — et déplacement- — vers d’autres sites de réalité qui deviendraient aussitôt l’enjeu de nouveaux conflits (Schmitt).
Qu’en est-il du projet utopique, censé effacer la discontinuité artificiellement instaurée par le politique entre la nature, d’une part et la «societas ficta» et l’homme automate, de l’autre (Hobbes) ? Qu’en est-il du destin et du bonheur, comment en parler avec justice, et avec quelle justesse dans les règles de connaissance ? Y a-t-il pour ce faire un acteur social compétent ?
Ouverture 2
Un nouveau bestiaire
Au lieu d’épier au jour le jour dans les médias, les signes infimes qui renvoient tous à l’apocalypse inévitable ou à l’optimisme de l’indifférence, on reprendra ici par une figure autrefois appelée epanalepse (répétition textuelle par variantes et variétés) quelques textes de A. Zinoviev. Il est le témoin venu du pays d’Ivania où le politique dit héroïque a fait ses preuves: la simulation du social en son entier.
«Donnez-moi n’importe quel postulat […] et je vous en déduirai n’importe quelle société. Tout ce que vous voudrez. Sur commande de la liberté et de l’égalité je vous déduirai une terreur paternelle et des privilèges. De l’oppression et de la contrainte je déduirai une démocratie féroce et sans frein. Le contenu des postulats ne joue aucun rôle.»
Cette réduction de complexités, parmi les plus radicales de l’histoire, n’a apparemment pas consenti l’enrichissement promis par les théoriciens des systèmes, et de l’lsme (le social-commun-lsme). C’est au dire de Zinoviev, une société nouvelle, compliquée sans complexité, banale, insignifiante et invincible.
Pour nous regarder et pour nous laisser voir dans ce miroir (c’est là qu’on se confronte à ce non-je qui est pourtant moi et qui me permet de savourer la différence) il faut changer de bestiaire politique. Aux Loups, aux Lions, Renards et Abeilles, au Leviathan succèdent dans le monde communautariste d’Ivania le Rat et le Caméléon2.
Il faut replacer le premier dans sa niche, le Ratorium, cadre de cette immense fable immédiate sur la perte du prochain et les ratés heureux.
«Le Ratorium est un agglomérat de rats, clos en vertu d’une certaine nécessité, dont les habitants sont condamnés à une cohabitation prolongée.»
Il peut s’ordonner ou succomber dans l’autoextermination, mais s’il survit cette vivance est ordonnée et autonome.
«Il ne subit dans ce domaine aucune pression extérieure. Les objets et la nourriture sont stables. La seule chose qui puisse être à l’origine de l’ordre ce sont les rats eux-mêmes.»
Dans ce monde mort-né naturel et stable, qui survit dans l’indifférence (au point de donner aux dissidents le regret des mensonges staliniens) on trouve bien autre chose que la passion pour la servitude volontaire, ce «vice monstrueux que la langue refuse de nommer» (La Boétie).
Zinoviev dégage les paramètres inouïs de l’esclavagisme socialiste et du refus de la liberté imposée; le pourquoi et le comment d’un totalitarisme venu du peuple; comment l’unité spirituelle, obtenue par l’effacement des singularités dans le collectif, n’est plus que l’odeur d’un deux-pièces surpeuplé, partagé avec des relations dont on se méfie. (On n’a confiance que dans ses ennemis, là où pèsent même les victimes!). L’unité ratorielle est l’Homocus (homo sovieticus) espèce nouvelle dont l’évolution régressive prépare un futur bond évolutif.
«L’homocus n’est pas une dégénérescence, il est au contraire le produit le plus sophistiqué de la civilisation. C’est un surhomme. Universel. Si nécessaire, il est capable de toute vertu. Il n’est pas de secret auquel il ne trouve d’explication. Il n’est pas de problème auquel il ne trouve de solution. Il est naïf et simple. Il est vide. Il est omniscient et omniprésent. Il est un puits de sagesse. Il est une parcelle d’univers contenant le monde entier. Il est prêt à tout, même au mieux. Il n’y croit pas mais il l’attend. Il espère le pire. Il est le Rien, c’est-à-dire le Tout. Il est Dieu qui feint d’être Démon. Il est Démon qui feint d’être Dieu. Il est dans tout homme.
Homme! Regarde-toi toi-même! Tu découvriras en toimême l’embryon de ce chef-d’oeuvre de la création. Toi aussi tu es un homocus.»
Ce ratorium est incertain, instable, trompeur et polyvalent, formé d’unités gélatineuses qui forment un ensemble gélatineux. «C’est une société de caméléons, qui, tous ensemble, constituent un gigantesque caméléon.» Cette société ratorielle est une énigme à elle-même, et cette énigme est-elle soluble ? Ici commencent nos variations. Fragmentaires bien sûr: le tout est le faux.
Variation I.1
Et In Atopia Ego
L’assaut du ciel à la terre est donc réussi. La plaine est envahie par le politique qui va simuler un séisme venu du bas. L’altimètrie du politique sur le social est abolie, la fin de l’histoire naturelle du social est proclamée par le Plan. C’est la «consociatio symbolica universalis»: tout est politique. Ce Big Stop n’irradie pas à partir d’un point, mais tout se fige en chaque point de l’espace.
Zinoviev va muer le constat de cette étonnante réussite en hypothèse heuristique sur les relations de l’histoire et du temps dans un monde totalement immanent, sans futur et sans espoir, en proie au présent. S’il n’y a plus l’extériorité d’un autre monde pour juger de celui-ci,
«ce qu’il y a de plus réel, c’est ce qui est complètement vrai dans un autre» (Baudelaire),
la lumière du futur se décompose: «licht-illicht» elle devient feu-follet. Une torsion se fait dans le temps,
«et celui qui a trouvé le but bien avant la voie n’est pas venu de l’origine» (Benjamin),
un relâchement dans l’espoir,
«le peuple russe a déjà obtenu son futur. Il est donc indifférent à son égard».
On pourra tout au plus vivre le passé des autres.
«Il y a trop de passé. Tout est devant nous. Et le passé de l’Occident est notre futur.»
Posture déjà vue? Pour Kafka, la loi est désormais indéchiffrable, son Messie ne viendra pas le jour du Jugement dernier et pour Benjamin, seul l’inimaginable pourrait encore arriver. Mais l’illusion a persisté d’un décalage entre ce monde et le meilleur des mondes, qu’une accélération historique pourrait abolir. La voie se transforme. Ce n’est plus la loi royale de la valeur et du conflit de classes, mais la fausse route, la déviation, le détour qui nous mènent au Paradis. En avant on ne pourra revenir: grâce à l’allégorie3 persiste l’espoir de reporter la situation à sa forme jamais vue.
Benjamin observe sur la porte du baptistère de Florence, la statue de l’espoir d’Andrea Pisano:
«assise, elle lève impuissante les bras vers un fruit qui reste inaccessible. Elle est pourtant ailée. Rien de plus vrai». (Einbahnstrassé)
Dans le marxisme de la défaite, on croit encore au salut: que l’espoir vient à qui sut y renoncer. Par l’inversion du temps, on croit transcender la ruine en résurrection et bondir par la petite porte — de là vient le Messie? — dans le juste Royaume de la joie et de la raison.
Au prophète qui veut réaliser les présages par son annonce, Zinoviev oppose l’optimisme noir de sa logique et de sa sociologie. Dans le futur, il n’y a plus de place pour l’utopie, parce que nous y sommes déjà, dans l’utopie et dans le futur à jamais réalisé. Plus besoin de traverser en déserteur le désert, pour trouver un autre soleil derrière l’éclipsé. La fin est déclarée de ces affects et effets de sens: l’envie du futur:
«C’est la vie: attendez un peu que je meure et alors vous verrez comme je vivrai» (Olécha);
le regret nostalgique:
«à mesure que nous avançons la veille nous échappe sans retour» (Tchadaév);
le désir ironique d’en finir:
«il est indispensable […] de déclarer officiellement la venue du jugement dernier» (Platonov).
Dans une société simulée et dissuadée par le Plan et les scénarios, la dernière scène du jugement ne trouverait pas un stade pour ses manifestations de masse.
Le mot d’ordre ne vaut plus, ni la parole de présage. Le signe est motivé: il est temps de toucher des mains, de déboucher ses oreilles, d’écarquiller ses yeux, et de serrer son coeur. Zinoviev tire de l’expérience extrême du Big Stop et de la simulation politique (réinventer la société), une conclusion nécessaire et déconcertante. Il n’y a plus de décalage entre théorie et praxis: l’Isme est actualisé, nous sommes dans le futur, à savoir, dans le radieux présent, itératif et minable de l’Homocus. C’est l’exact, imprévisible mise en oeuvre de l’utopie.
«L’époque stalinienne fut celle de la mise en pratique du conte de l’utopie […] de telle sorte que le conte est devenu un objet de plaisanterie. Le problème n’est pas que la réalité se soit avérée pire que le conte, sur bien des points elle a été au contraire meilleure — mais que la vie ait pris une direction imprévue, étant par là même tout sens au conte […] Ce qui existe chez nous est le résultat de recherche des variantes les plus fiables de l’organisation de la vie conformément aux conditions prédites dans l’utopie.»
D’où la conséquence ferme et inconsolée: l’erreur des théoriciens est dans l’oubli d’une connexion nécessaire. On ne saurait détruire le malheur sans toucher à son bonheur.
«Aujourd’hui une forme unique d’utopie peut donner des idéaux radieux […] un cas de forme abâtardie avec zéro aspect négatif de la réalité. Ce qui correspond à une analyse impitoyable de notre vie.»
Les Ivaniens sont pris dans la chaux vive d’un présent qui ne finit pas de virer au présent. La radiation fossile du meilleur des mondes a achevé son fading: il faut se coucher avec ce cauchemar.
«Sans exagération, ni minimisation il faut procéder à une description scientifique de tout ce que nous sommes […] Ce serait là sans aucun doute l’utopie vraie, intolérable.»
Le Messie est passé, il n’y a pas eu résurrection de la chair mais nécrose de l’imaginaire. Misérable parce que réalisé, ce réel dégage l’odeur nauséabonde d’un temps mort et embaumé. Ce n’est pas le temps suspendu, le jetztzeit, actualité dilatée qui donne accès à la transcendance (Benjamin) mais une atroce atrophie. Tombe le Tikkoun, vent de l’histoire qui vient du Paradis puis y mène. L’Angelus novus glisse au sol. Le but auquel le matériel historique ne saurait renoncer est atteint:
«faire sauter le continuum de l’histoire, établir un présent qui ne soit plus passage, mais un équilibre, dans le temps et immobile». (Benjamin)
Mais ce paradis sur terre n’est qu’Atopie, le lourd sommeil de Cronos est sans rêves.
Variation I.2
Les signes du destin
La préméditation de l’inconnu que le politique exerce sur le social nous introduit au jeu le plus ésotérique sur le temps.
«Toute prévision sur le futur est par principe impossible. En revanche il est possible de le planifier.»
On peut programmer le futur en tant que passé.
«Un bon programme a besoin de coucher sur papier ce que l’on veut réaliser, obtenir. Mais encore plus ce que l’on a déjà obtenu. Dans mon Institut, à Moscou, nous avions l’habitude de programmer pour le futur ce qui avait été accompli l’année précédente. On nous décernait régulièrement les prix!»
Babel temporelle, l’Utopie réalisée prend le ton d’une simulation apocalyptique, les teintes de l’Hypercalypse. Zinoviev tente d’en dégager
«les lois qui régissent la langue utilisée pour parler du destin».
Et le destin n’est observable que par ses signes.
On a pu croire que le destin possède un temps autonome, dépourvu de présent et que seul le bonheur utopique peut nous libérer du destin, dans la durativité du présent (comme les dieux bienheureux). Mais que se passe-t-il si le passé est mort et le futur inimaginable (Orwell)? Une riposte existe:
«Du rêve enfin réalisé
Nous ne pourrons jouir en paix
Qu’une fois tranportés aux cieuxJ’aurai mon paradis sur terre
Une fois mort et enterré.»
Le temps a fait son temps. La stagnation des buts et l’immersion de l’origine dans le flux du présent (comme un tourbillon qui engloutit la matière de la naissance) en signale le temps d’arrêt. Le présent est momifié: par la disparition des opérateurs de repérage, de toute instance enunciative autre que le politique réalisé et par l’inversion simultanée du mouvement réciproque du sujet et du monde.
Les linguistes connaissent la double perspective qui caractérise l’emploi du futur. Vous avez devant vous un article, et ces pages qui viennent, que vous dites «suivantes» ou «à suivre», sont Plen aussi les suivantes des pages qui viennent de vous traverser.
Le monde qui fait face à notre progrès suit le monde que nous quittons, à moins que ce ne soit lui qui nous ait quittés: son futur est notre passé, notre passé son futur. Le présent utopique, ce temps géronte résulte d’un double arrêt: le social a arrêté de procéder et le monde de nous précéder. L’Utopie est Uchronie où s’abîme la grammaire des temps purs.
«Nous commençons une nouvelle ère, mais nous ne la commençons pas au début mais par la fin, seulement à la fin nous parviendrons au début.»
L’étroitesse du maintenant, non appréciable et non mesurable s’accompagne d’une itération, d’un raboutage d’intervalles entre le même et le même, qui pourrait bien être la formule de la «consommation de temps». En effet, si ce temps arrêté est sans histoire, il n’est pas sans drame.
«Le présent est guerre non pour la vie mais pour la mort.»
Il est soumis aux variations intenses qui le font passer
«d’un automne sans fin à un hiver sans fin»,
et ces répétitions ne sont pas indifférentes.
«L’histoire se répète. La première fois est une tragédie, la deuxième une catastrophe.»
Dans le marécage cruel de ce temps itératif est prise la question de la légitimité de l’opposition. On pourra toujours s’en tenir au passé (si l’on diffère le désir, peut-on attendre patiemment le retour du passé dans l’espoir qu’il s’accomplisse dans le présent? (Benjamin). Mais dans le présent, tout paramètre de justice est levé.
Schizophrène:
«Les hommes ne sont impuissants que devant leur passé. Il est absurde d’espérer quelque chose de l’avenir, car il ne présente aucune perspective […] Les espoirs ne sont toujours réalisés que comme détails secondaires d’une énorme saloperie quelconque. On ne peut fonder d’espoirs que sur le passé. Car lui est indestructible. Si tu as existé dans le passé, tu existeras dans l’avenir. Mais l’inverse n’est pas vrai. L’avenir est un reflet fidèle du passé. La vie se situe au point où les deux se heurtent. Elle avance à la fois dans le passé et dans le futur.
Barbouilleur:
«Mais ton point de jonction entre le passé et l’avenir se déplace nécessairement dans le temps.»
Schizophrène:
«Non. Il est lui-même le temps et le temps ne peut se déplacer dans le temps. Ce serait une absurdité. Il n’existe aucun critère qui permette d’en juger.»
Les dissidents de risme cherchent pourtant à définir des critères capables de cerner dans l’indécidable,
«un degré de vérité — dans des situations semblables — que la logique ne saurait résoudre.»
Soljénytsine transforme un laboratoire prison en un château du Graal, loin du marécage de l’histoire maudite, et confie aux savants, ingénieurs, linguistes, cryptographes la mémoire vraie du passé. Zinoviev, en bon sophiste, lui oppose:
«il est préoccupé du passé, et du passé qui se cache dans le futur. Moi je me préoccupe du futur, et du futur qui est caché dans le passé».
Ces sophismes, ces «galimatias» sont aussi l’effet de ce temps sans histoire. Mais de ses contradictions on ne saurait faire grief à Zinoviev: il est dans la nuit insoluble du temps et ce temps lui est dur.
n.b.
Ce débat a pourtant des suites:
«Le nombre des victimes (parmi les Organes) dans la lutte pour inventer une méthode efficace pour étouffer les dissidents, a dépassé plusieurs fois celui des victimes parmi les dissidents euxmêmes.»
Variation II.1
Référence, délations
Il revient de droit et de fait au politique d’avoir constitué ce régime d’hypocrisie avec exposant:
«une hypocrisie qui prend la forme d’une négation de l’hypocrisie c’est une hypocrisie au carré».
Ces mécanismes, nombreux, relèvent tous de la relation entre vérité officielle et vérité sociale, telle qu’elle s’instaure dans l’utopie réalisée. Une société qui a des défauts, a encore des perspectives. Ces défauts éliminés,
«le social met à nu sa nature la plus vraie, la plus profonde, la plus définitive. Or cette nature est horrifiante».
Son essence stable et omnigénérative caractérise tout social entièrement simulé par le politique. L’officiel y devient le Double du social: leur coïncidence fait loi. Il s’ensuit qu’il est antisocial de s’opposer au pouvoir au nom de la société, et antiofficiel de s’opposer au pouvoir dans sa méconnaissance du social.
Toute tentative contraire sera nécessairement réprimée: ainsi, refoulés les volontaires, et on ne part en mission que forcé, en service commandé. Le politique qui s’identifie au social ne saurait consentir qu’il agisse à sa guise:
«même ma volonté à mon égard, il veut qu’elle s’accomplisse contre la mienne».
Un mécanisme se met en place autotélique et équifinal. Que la tromperie soit officielle, que les hommes croient à ce qu’ils ne croient pas et ne fassent pas ce qu’ils disent faire, rien de neuf; mais ce que Zinoviev détecte ici, c’est à la taille d’une société entière, la généralisation et le déploiement d’un «comportement menson-geoïde»:
«il faut mentir de façon que ce soit vrai, et dire vrai de façon que ce soit faux».
La vérité officiellement permise s’imprègne donc de mensonges, et découvre un espace définitif de simulations indécidables. Pire qu’un mensonge, c’est un pseudo-mensonge qui a ses lois gravitationnelles propres, qui se prête au calcul et à la prévision, et possède donc la forme officielle de la vérité. Toute vérité primaire paraîtra monstrueuse devant cette erreur hautement sophistiquée. Le corps social,
«confié à des éléments non fiables, en conditions non contrôlées de fonctionnement»
se trouve doublé recto-verso par un réseau de simulacres.
On y consomme du caviar en plastique, les fausses dents y pourrissent, et les fausses-fleurs s’y fanent. On y voit des confréries d’ivrognes s’essayer à la mort simulée (et souffrir du retour), des sosies de dirigeants politiques
(«ce fut le spectacle le plus horrible qu’il dut souffrir de sa vie»).
A l’étranger, hors Ivanbourg, espions et agents doubles, dissidents et émigrés simulent des modèles réduits de la politique d’Ivania.
Dans cet univers normal, au lieu de résoudre des problèmes réels, on cherche des problèmes imaginaires qui correspondraient à des solutions souhaitées. La fiction prolifère: pour réduire le pourcentage de crimes impunis, on accroît le nombre de crimes fictifs, d’où conflit avec un autre simulacre: il n’y a pas de crimes dans cette société. D’où l’idée pas si saugrenue que ça d’exterminer les criminels avant qu’ils n’accomplissent leurs crimes. La vérité qui pointerait par aventure, comme exception et scandale, se définirait alors par sa punibilité.
«La vérité est une exception absolument anormale. La vie normale de la société est faite de simulations de la vérité.»
Tout est donc transparent et soigneusement masqué. Mais je le répète normal et irrévocable. L’abolition du stalinisme, menée avec les règles mêmes qu’il s’agissait d’abolir n’a fait que les reconfirmer.
Pour nos sociétés de simulation, affligées d’une atrophie théorique, effet d’une diète unilatérale d’exemples, il y a là un enseignement: renoncer à chercher dans la direction des choses, au-delà des simulacres, car c’est entre eux et nous, dans l’évidence, que cesse la connaissance et doit avoir lieu la quête. Mais dans ce monde — qui ne ressemble à rien hors qu’à la réalité — l’intelligibilité a une contre-indication préalable: la clarté. Ce n’est pas que toute clarté d’un côté jette de l’ombre sur tous les autres, mais c’est qu’elle est inadéquate à son objet: l’homocus.
On ne saurait lui demander aucune sincérité et pourtant il n’est pas insincère. Élastique et situationniste, il est entraîné dès la plus tendre enfance non pas à tromper mais à confondre par la vérité. Il passe dans l’instant d’une sincérité à l’autre; s’il n’est pas sincère, c’est qu’il croit l’être toujours.
Pour le comprendre, donc,
«la précision est la pire des erreurs. Ce qu’il faut ici, c’est quelque chose de totalement irrationnel qu’aucune théorie ne puisse concevoir. Cela exclut toute précision dans la définition des prémisses aussi bien que des buts. Ce qui est nécessaire est une imprécision, un flou systématique.»
La clarté est une autolimitation, une convention subie qui nous ramène aux manuels d’Ivanisme, là où réside en dernière instance la vérité.
«Plus profondément tu plonges, plus près de la surface tu te retrouveras.»
Par la clarté, on ne saurait faire surface et
«tu vas noyer à un millimètre du salut».
Il faudrait penser une méthode dont les conditions suffisantes ont cessé d’être nécessaires et pratiquer une
«révulsion complète de son être»,
pour appréhender des vérités plates.
C’est au premier chef, que la délation comme art et comme science fascine Zinoviev. Dans son histoire et dans sa structure, dans sa relation aux autres modes de communication, c’est la banalité de ce mal — comme on dit four banal — qui est le révélateur d’une socialité radieuse.
«Nous croyons bâtir le paradis en vivant en enfer, alors qu’en fait nous construisions l’enfer en vivant au paradis. C’était le paradis et la dénonciation en était la preuve…»
Bien loin d’avoir été l’effet de l’imposition autoritaire, la délation fut, sous Staline, un vaste et volontaire mouvement d’initiative populaire qui la fit passer de la honte individuelle à la pratique de masse. Un phénomène politique,
«grandiose et sensible», «une frénésie, une orgie, une jubilation»,
qui a permis de préserver les conquêtes de la révolution des ennemis réels et imaginaires. Il y eut corrélation rigoureuse
«entre la masse des dénonciations prise dans son ensemble et la conduite des autorités prise dans son ensemble».
Qui voudra se souvenir du dossier imposant des délations françaises pendant l’occupation allemande ne saura décliner cette contribution à une sociologie du détritus. Le talent de tout un peuple, sa virtuosité dans l’écriture calomnieuse sont un résultat majeur du politique réalisé. En Ivania, cette dextérité est organique, c’est le fait de la vie de tous les jours. La délation
«est un mélange de confession, de communion, de spectacle, de répétition, de représentation, d’action. Elle est une fête de l’âme ivanienne».
Chacun est partie prenante de cette conquête historique du peuple: impossible donc d’en trouver les sources et les promoteurs, impossible de la démasquer, de la distinguer de la vérité. C’est à cette forme de communication que revient la noble tâche du feedback d’une société à utopie réalisée. Morphologie naturelle des relations sociales et des flux d’information, douée de lois universelles, elle est l’objet d’une délatologie générale et appliquée ainsi que d’une esthétique des arts de la bassesse (du beau jusqu’à la sublime nuance du «je ne sais quoi»).
La délation n’est pourtant pas une scène — la dernière — où le peuple adresse une demande de vérité à ses dirigeants politiques. Certes, les dénonciations sont chastes et vraies.
«Vraies […] par leur monstrueuse absence d’imagination»;
chastes, d’une chasteté vile, sale et méchante.
Néanmoins,
«l’idée que les délations influent sur le destin des gens est illusoire. Elles ne sont qu’accompagnement ou conséquence. Le destin a priori, la dénonciation potentiellement a posteriori».
Perçue comme cause, elle n’est que le résultat d’un pressentiment de destin à partir d’autres sources.
Sa relation avec la répression est tout aussi improbable, concomitante mais sans commune mesure appréciable. S’il est vrai que la délation multiplie les Organes de sécurité destinés à la gérer (en Ivania bureaucrates et informateurs permanents représentent 1 0 % de la population), il est tout aussi évident que ces bureaux sont presque superflus (à moins qu’ils ne jouent un rôle limitatif!). Quant à la répression, la société s’en tirerait très bien toute seule; prenant peutêtre des formes plus terribles (une cellule de sécurité par maison de délateur, pourquoi pas?).
C’est la situation symétrique et inversée du coup monté, qui officiellement se présente comme une volonté de vérité, mais bien que prédéterminée par le haut, prend son départ dans les régions inférieures et parvient aux hautes sphères comme un signal du bas, et que plus tard les instances supérieures prendraient en compte. Nul mensonge, mais
«une orientation naturelle de la conscience, une interprétation habituelle des événements dont la sélection se fait selon des critères déjà établis, combinés selon des règles de pensée partagée».
La simulation généralisée est bien plus complexe et cruelle que notre idée de la communication conçue comme expression ou arme de théâtre. Elle requiert une description bien plus crue que celle d’Adorno qui voyait le social comme une constellation de gangs et de rackets. Il faudra bien que «l’outre-politique» fin de siècle, avant de décider que son retrait actuel est un re-trait, une rentrée en jeu, en assume la description jusqu’aux conséquences ultimes.
Une typologie de cette communication si «extraordinaire» et si normale est à constituer: la délation est susceptible de réarticuler tout le champ de l’information (futile, si ce n’est à partir de l’informateur, du conman, l’homme de confiance à qui on ne saurait se fier). On y trouvera (avec le signal et la mise en accusation) le rapport,
«autre forme littéraire de pureté cristalline»,
dont l’indifférence du contenu et l’absence de lecteurs permettent un développement purement esthétique. C’est en passe de devenir un art plus qu’une opération bureaucratique superflue. C’est parce que:
«le pire des rapports est plus intéressant que la meilleure des actions»,
qu’il est
«une forme puissante d’organisation des hommes dans une société communiste compacte. Ce qui compte n’est pas son contenu mais le fait nu de son existence.»
Tous ces genres, qui demanderaient des recherches sérieuses dans un Institut du Mystificatoire, aux instruments cybernétiques bien tempérés, sont aussi les ressources métalinguistiques de l’analyse. L’énonciateur de Homo Soviéticus dénonce ainsi son roman: une polyphonie discursive qui tient du traité, de la délation et du rapport.
Comment traquer autrement la vérité, là où l’organisation politique
«cherche dans les hommes ce qui n’y est pas»,
et où toute quête de l’authentique est un appel direct à la délation?
Variation II.2
L’ASS et sa queue
Comment instaurer de nouvelles figures de connaissances dans un monde de simulacres et quels sont les lieux possibles d’exercice de leur discours?
On ne saurait opposer à l’homocus, si capable de tout («même du mieux»), polyédrique et insaisissable, porteur actif de la contagion de ses qualités négatives, ni les réfractaires ni les dissidents. Le «veilleur de nuit», qui s’installe dans le monde vide des bureaux de l’homocus a compris: toute opposition est moralement, psychologiquement et intellectuellement adéquate au pouvoir. Le réfractaire est un produit social dont le pouvoir a besoin pour le combattre, et le dissident, même le géant Soljénytsine, agite son arme de vérité comme une aiguille à coudre. A son tour, ce sera lui le manipulé, comme le parasite qui fut son précédent. On lui fera servir le pouvoir qu’il prétend démasquer.
«On est en train de vous utiliser.
– Comment?
– Faisant mine de ne pas vouloir vous utiliser.
– Je ne comprends pas. Expliquez-vous.
– Je ne puis malheureusement. Moi-même, je ne comprends pas.»
On pourra lui donner du souffle par une limitation artificielle de l’émigration, l’infiltrer, le résoudre à demander aux Occidentaux d’instaurer chez eux le régime soviétique pour pouvoir lutter avec eux contre eux!
A l’homocus et à son talent original de caméléon, on ne peut que répondre par une surenchère de simulations. Poser le caméléon sur le miroir ne suffit pas, il faut en trouver un autre capable de l’imiter. C’est en état de prostration festive et de déprime confiante que Zinoviev propose ces nouveaux actants spéculat i f s : le mouchard, tragique et dérisoire, et l’espion, témoin et martyr, mais surtout l’agent double, infiltré dans l’évidence, installé dans le vertige des signes.
Cet opérateur intellectuel, traître et fidèle à tout le monde (y compris à soi-même) prend la relève du politique dont il sait que c’est avec les masques et non pas avec la tête des autres qu’il ait jamais pensé. Il sait aussi que l’apocalypse du pouvoir triomphant du social n’est pas le démasquage mais l’universel masquage.
Il n’éprouve cependant aucune tristesse pour ce monde vidé de référents (les «relata» se muent en délations), tableau vivant dont il maîtrise toutes les variations de mise en scène. Au pathos de sa connaissance, le scepticisme ajoute un goût pour la minutie qui fait paraître philistine la grande synthèse dialectique. L’ASS (l’agent double) possède un don de «double pensée» (cf. Orwell), naturel et innocent. «Le contraire est le même» et seule la désinformation est crédible. Par son naturalisme du paradoxe,
«même à un agent affiché du KGB, il arrive de ne pas pouvoir dire avec une certitude absolue s’il est ou non agent du KGB»;
«un agent soviétique arrive en Occident en veste d’opposant au régime soviétique, il est accueilli par des agents soviétiques en veste de membre d’une organisation antisoviétique»,
et la sophistication dangereuse de ces lapalissades,
«Tout ça est lapalissien.
– Oui. A une chose près pourtant.
– Quoi?
– Que tout est lapalissien justement.»
C’est lui le génie historique de la fin du siècle.
«Un génie aujourd’hui n’est que l’ensemble d’une multitude de médiocres qui exercent les fonctions les plus primitives. Les computers actuels sont la quintessence du génie de notre époque.»
A condition de s’accorder sur les termes, l’ASS est un dialecticien.
«La dialectique est une méthode pour bouger à l’aveuglette dans un espace vide, inconnu, plein d’obstacles imaginaires, pour bouger sans appui, sans flexion, sans but.»
La dialectique est un art de tromperie, (nous dirions sans doute une erystique) dont on peut formuler les scénarios: pour tromper un ordinateur — c’est-à-dire pour l’amener à une conclusion reconnue comme un leurre par le trompeur qui a fourni l’information — il faudra énoncer
«des affirmations qui contiennent la négation implicite d’ellesmêmes et accomplir des actions que l’on puisse interpréter de manière diamétralement opposée».
Dans ces conditions, agir «doublement» n’est qu’un minimum de méthode, à savoir, le moyen de se retourner contre ses propres questions et de reconvertir ainsi son regard. Où est le terrain — au sens ethnographique — de l’ASS? Sûrement pas dans l’espace «buroesque», cette forme panoptique qui contient la caserne et le camp de concentration. Ni dans l’espace bureaucratique nocturne du veilleur de nuit ou dans celui des vacances où opère l’équipe clandestine des restaurateurs de maisons officielles. Le travail au noir entraîne une parole au noir, réfractaire et dissidente, c’est-à-dire simplement diversive.
C’est dans les queues, agglomérations segmentâmes et non totalisables (cf. Goffman), poubelles sociales de composition et d’identité imprévisibles, traversées par des tumultes de passions mesquines et de valuations antivalutatives, que se retrouvent les génies historiques.
«La queue est une fiction de l’existence, qui se réalise selon les lois de l’existence vraie mais avec les mêmes conséquences, c’est-à-dire rien.»
Ici coule le flux du radotage («razgovor» duratif et indéfini), mélange de genres bas, bien plus aiguisé que le poignard syllogistique. Ici se pratique naturellement la négation non canonique: opération «marquée» de la désinformation, mode primitif de l’oblique et de l’obscurité. Une parole que l’on dit silencieuse — comme on dit masses silencieuses — tandis qu’elle travaille à faire taire la parole politique en tant que système sans la catégoriser (sans l’accuser), sans entrer dans le mécanisme infiniment récupérable de la contradiction.
Variation III. 1
Hyperlogiques
La logique et les sciences de l’homme ont donné leur adhésion au regard de Zinoviev fiché dans les mystères de l’évidence. On a goûté la pertinence de la sociologie de l’arrivisme:
«L’arriviste le plus doué sera celui qui manque le plus de talent, précisément sur le plan de l’arrivisme.»
La rigueur de sa définition du rat, ce type original de personnalité négative, d’une force extraordinairement insignifiante donc invincible. Elster a bien vu la contrefactualité profonde du pouvoir tout-puissant et confirmé la règle (plus stricte que «l’hétérogénèse des buts» de Machiavel):
«celui qui cherche à transformer ne transforme rien du tout […] et c’est celui qui n’en avait pas l’intention qui le fait».
L’ensemble des possibilités politiques est donc vide,
«les directives sont un résultat et non une cause».
On ne saurait accomplir des transformations profondes du social de manière délibérée et voulue parce que toute action déclenche un contre-effort qui l’annule.
«Le but d’une mesure est de découvrir les éléments qui s’y opposent.»
«La condamnation est une des demandes de reconnaissance de la part de l’opposition.»
Condamné à dire toujours trop et trop peu, le pouvoir est pris dans le réseau de l’équifinalité dont il boit jusqu’à la lie l’ironie objective.
C’est une critique acerbe de l’approche systémique qui investit les politiciens d’un «rôle héroïque» (diminuer les options en excès pour consentir l’action finalisée et formaliser les événements pour en renouveler la logique interne). Dans cette approche, la critique révèle les anciennes prétentions officielles, le cérémonial dégradé rafraîchi par la théorie, et y relève, au contraire, un potentiel inexploré de mensonges, de paradoxes, de simulations.
«Ce n’est pas vrai mais je te crois.»
«Le raisonnement pour moi est incompréhensible mais la conclusion est exacte.»
Cependant, l’acceptation logique a ses limites. Ivania est le modèle d’une déraison d’État: on voudra donc distinguer entre l’irrationnel et le rationnel politique, et dans le brouillard de l’antilogie et de la tautologie pointer encore le Nord:
«seulement la mémoire du passé peut maintenir l’avenir» (Elster).
On va donc isoler, dans les textes foisonnants de Zinoviev, un outil métalogique, la négation active et passive, pour déceler leur jeu.
«Le communisme vrai est un anticommunisme faux.»
Cette démarche n’est pas seulement réductive (la réduction est de rigueur), elle manque le but qu’au Zinoviev logicien, propose Zinoviev écrivain et sociologue. Pour celui-ci, l’inconcevable n’est pas illusoire et l’irrationalisme est le réalisme de risme réalisé.
«Du point de vue scientifique, c’est absurde, naturellement […] Mais là, justement, se trouve sa force.»
Toute discussion qui ne prendrait pas en compte des énoncés tels que
«comment se libérer de la liberté»,
se trouve frappée de nullité. Il s’agit moins de déceler les lois dialectiques que d’affiner le maniement de l’arme blanche de la négation (entre autres) contre la Dialectique, la forme discursive idéologique — insignifiante et invivable — qui entame profondément les régimes de vérité sociale. Cette logique des temps d’exception ne peut se constituer en règle pour décider des erreurs sémantiques. (Bien qu’on puisse classer les systèmes politiques par les blocages qu’ils opèrent sur les formes d’inférence logique.) Mais pour sortir des systèmes autotéliques de simulation (d’où décider et avec quel crible la valeur des valeurs?), il ne suffit pas de ne pas mentir et d’écrire Vérité avec un grand V4: il faut plutôt démontrer ce qu’on ne sait pas encore. L’hyperlogique de Zinoviev excède dans son usage illusoire et ludique, l’emploi canonique de la négation et de «la négation de la négation». La masse ratorielle, idiote et géniale, pratique une négation assourdissante, oblique et désinformative sur laquelle l’oeuvre formelle doit travailler au noir.
«J’ai inventé mes propres méthodes d’analyse de la langue.»
Style pseudo-démonstratif: des paragraphes isolés tombent en formant des angles aigus, ils s’offrent, mieux ils adviennent, sans que l’on puisse en décidera l’avance la réception correcte.
Cette pensée inexacte, qui opère dans l’indéterminé, n’est pas délestée de sa rigueur; au contraire, elle fait repenser l’image même du discours des sciences, qu’on voit alors régi par des normes et des contre-normes variables et opposées: transparence et secret, relativisme des paradigmes et universalité, engagement et impartialité. Il ne faut pas moins qu’une cryptoscience de la poubelle pour travailler sur le Ratorium. A rencontre de l’optimisme logique, qui n’est qu’indifférence et qui partage à l’avance rationalité et irrationalité, Zinoviev réclame à l’objectivité de ne pas se perdre par amour d’elle-même. Quant à lui, il garde son espoir du mieux (possible dès qu’on cesse de penser que les choses puissent encore empirer), ou mieux sa crainte du pire,
«qui est le niveau de vie le plus haut auquel puisse prétendre la mesquinerie lvanienne[…] (qui est) le symptôme […] d’avoir gagné le sommet, de l’avoir dépassé et d’avoir entrepris un mouvement inexorable vers le pire, l’encore pire, plus bas encore».
Pourquoi, d’ailleurs, devrait-on revenir du meilleur des mondes aux livres de logique? Une empreinte digitale sanglante sur la page en dit plus que le texte.
Variation III.2
Novlangues?
«Sans langue, ça va mal» dit Zinoviev. Avec la langue aussi, la langue de bois, métalangage qui a perdu son aura; forme quinquennalisée dont il éprouve la claustrophobie.
Nous sommes une société du langage — qui est notre moderne nature — ceci met les intellectuels ivaniens devant des problèmes sans précédent: que faire? Faut-il revenir à la langue ancienne, comme Sologdine, le personnage du Premier cercle, qui s’exprime «dans la langue de la pureté absolue», ou bien constituer une société pour inventer des mots nouveaux plus subtils que les rêves et les images de cinéma (Orwell)?
Ni l’un, ni l’autre:
Barbouilleur:
«[…] il y a bien de nouveaux mots qui apparaissent dans le passé.»
Schizophrène:
«Les nouveaux mots apparaissent […] dans la profondeur du temps. Comment savoir s’ils sont apparus ou s’ils existaient déjà? Ce qui caractérise le passé, ce n’est pas le concept de l’apparition mais celui de l’être. On peut disparaître dans le passé, mais on ne peut y apparaître.»
Ni le passé, ni le futur: le projet d’Orwell participe finalement de la même artificialité que celui de Staline qui souhaitait une seule Novlangue pour la planète libérée — mais où se durcirait la lutte des classes. Augmenter le bonheur social par l’invention de nouveaux mots, n’est-ce pas une autre façon symétrique et inversée d’imposer une novlangue? C’est une hypothèse qui fait monter l’eau et les mots à la bouche de Zinoviev. Les crachats, les gros mots (que Trotski aurait voulu abolir), l’invention d’invectives. Il ne faut pas marquer le signe linguistique (Zeichen) mais laisser transparaître ses tâches, ses envies (mal).
Il faut s’installer là, d’où Orwell aurait voulu fuir, dans la «falsification constante», qui est le fait de qui écoute et de qui parle.
«L’art d’écrire est en grande partie le fait d’une perversion des mots» (Orwell).
On ne peut s’en tenir là sans réfléchir, car ce lieu est fréquenté dans le royaume de Longdon5 par des
«Artistes; très adroits dans l’extraction de la signification des mots, lettres et syllabes» (Swift).
Experts en acrostiches, et dans la méthode anagrammatique, ces Agents pourront bien nous faire dire ce qu’ils veulent,
«il existe une science pour manipuler les hommes».
Il faudra descendre en cette compagnie dans l’épaisseur de la langue qui déploie dans la linéarité apparente, des catégories si diverses en nature et relations. Par la logique, la cybernétique, la sémiotique, on s’évertue à éviter le sort du locuteur «à la pureté absolue»: fournir à Staline le décodeur qui intercepte les communications téléphoniques des opposants (Soljénytsine).
L’analyse formelle du langage réserve des surprises: la parole d’Ivania n’est plus une morphologie des mots d’ordre — épines dans la chair, abattoirs à slogans — ni une langue de bois à faire voler en échardes et en éclats. C’est un réseau de formations discursives, parasitaires et épidémiques, régies par une «double pensée» naturelle.
«Ce Centre (d’Études) est un cadeau pour le KGB.
– Exactement le contraire.
– Justement, c’est un cadeau pour le KGB.»
Et encore:
«Nous pouvons sauver l’Occident d’un Péril Jaune et Noir en lui imposant notre monde qui n’est pas Blanc et Gris.
– Tu veux dire Rouge?
– Quelle différence? Rouge veut dire Gris.»
Et pourtant ce discours de science ne saurait être accepté comme tel. Le risque est toujours de bâtir une machine qui inventerait une langue universelle, et si personne ne la comprend, elle sera pour cela acceptée par tout le monde (Canetti).
Heureusement le LGU (Langage général universel) construit à Ivania pour parler toutes les langues n’est pas compris par les sous-ivaniens du Ratorium qui s’expriment dans un pidgin de paradoxes et de gros mots et qui savent que
«le langage est donné pour mentir à soi-même et désinformer les autres».
La connaissance rigoureuse revient alors à l’invective: elle n’est pas faite pour prendre langue mais pour la perdre. Zinoviev se contredit, et bien il se contredit.
Variation III.3
Antilogies, parasens, etc.
Pour décrire le tiers monde — innomable et injustifiable — de simulacre vrai et de réalité semblante, la langue doit excéder sa syntaxe logique et ses régimes de vérité. Elle doit parler par paradoxes, et à la quatrième personne. A l’opposé de la langue pathétique (Soljénytsine) ou quinquennalisée (Platonov), langue de témoins et de martyrs, faite d’automutilations réactives et passives (tatouages que les prisonniers du Goulag inscrivent dans leur chair), Zinoviev pratique un excès verbal actif et féroce. Nil aux paragraphes sans rivages, qui déborde, fécondant les champs de la vérité par exagération et exaspération. Une logique qui se double de redondance et de discordance, une logorrhée de loufoqueries verbales et de bandes parlées (comme on dit bandes dessinées).
Minutieuse comme un humoriste et éloquente comme un ironiste, cette parole abrasive ne recule devant rien: syllogismes en chaîne et vers de mirliton, argumentations et grossièretés. Rien ne saurait suffire («assez? mais assez est déjà trop, ou pas assez») à ce traité de théorie politique, qui est une sociologie du détritus, du déchet, où la scatologie la plus plate recouvre l’eschatologie la plus blafarde. Texte où la blague devient lourde et offensive, ou bien d’entrée se fond avec l’inspiration:
«Devant les neuf cents colonnes de tous les ordres connus en architecture, d’un bâtiment officiel de Moscou, l’élève officier Ivanov dit:
‘pour le pourcentage de colonnes par tête d’habitant, nous avons enfoncé les Grecs! A présent nous sommes la première puissance coloniale du monde.’»
Ce grotesque se veut réaliste, se dit le seul réalisme possible, dans une société dont la règle, personnages et actions est la caricature.
«Il est impossible de décrire en style poétique ce monde de bureaux, de queues et d’espions. Ce serait ennuyeux et faux. Une description adéquate doit être laconique, grotesque, et évidemment caricaturale»
«un bon portrait de cette caricature qu’est la réalité»
Y a-t-il mieux que la dogmatique hyperrationnelle du sarcasme, pour décrire un réel pitoyable, pris comme un idéal radieux?
Là où l’utopie est réalisée dans l’intempestif du présent, là où le temps s’est retourné sur lui-même comme un noeud coulant, seul vaut l’humour, art de surfaces, qui par sa vocation propre abolit hauteur et profondeur et partage indéfiniment le présent en présent. Zinoviev, caustique et hénaurme, rend au discours politique la monnaie de sa pièce, monnaie de mort que celui-ci a administrée au social. Il le fait pour mieux coller au grotesque de l’Ogre et du Ratorium.
(i) Le grotesque de l’Ogre Staline, qui a porté au plus haut degré la tendance destructrice de tout pouvoir. Accumulant contre le social, victoire sur victoire, augmentant sans fin le nombre des vaincus, l’ogre se retrouve seul survivant, impuissant, dans un monde vide et un temps arrêté.
(ii) Le grotesque du Ratorium où l’arriviste politique ne réussit qu’en tant qu’arriviste médiocre.
Pour faire taire le langage politique comme système, Zinoviev pratique la non-accomodation volontaire et l’injustice heureuse. Pour se faire, il se plante dans l’oeil une paille, lentille grossissante de la vérité. Sa logique surchaufffée va au rebours du «chagrin sublime» qu’est notre pathos politique actuel: deuil, absence de langage, apathie contemplative et inconsolée, étreignant sans cesse les choses mortes — y compris les catégories du politique — pour les sauver. C’est le même désespoir, dans un univers en proie à la simulation, qui fait dire à Kouznetsov:
«Faites pousser sans moi vos moissons-fantômes!
Moissonnez sans moi vos lauriers de carton!
Pavanez-vous sans moi dans le vide cosmique!
Mais sans moi, sans moi!»
Cette mélancolie baroque de l’utopie perdue permet quelques accès furieux de folie. Elle s’exprime alors par rébus; tout événement quotidien par lequel les médias nous oppriment devient chiffre et emblème. Entre la caducité des chroniques trop nombreuses et les catégories immuables du politique, prend racine l’allégorie: le discours philosophique se gonfle de tropes.
Chez Zinoviev, ce mutisme est vaincu par le rire. A la pondération mystérieuse et prophétique de l’allégorie, répond la folie de Zinoviev, par une alchimie logique, par la matière philosophale des syllogismes.
Les citations, les fragments du monde sont portés devant le jugement logique, comme objets du délit. Et ce jugement sera prononcé dans une effroyable acribie. C’est par la passion qu’une logique paradoxale aura raison du discours oblique et chiffré. Le court-circuit du paradoxe permet l’estrangement qui juge l’évidence: c’est l’éclair qui montre la nuit du Ratorium sans l’illuminer.
Les paradoxes sont:
«les figures plus ou moins droites qu’il essaie de tirer à partir des formes monstrueuses et paradoxales de la vie».
Jusqu’à maintenant, c’est contre «le bon sens» que la pensée a attribué au paradoxe, le rôle de pathos de la philosophie.
«Il fait valoir l’élément qui ne se laisse pas totaliser dans un ensemble commun, et la différence qui ne se laisse égaliser ou annuler dans la direction du bon sens» (Deleuze).
Mais dans le Ratorium, c’est le sens commun même qui est antilogique, qui est juge et partie, absolu et vérité partielle. C’est le régime de masse de la vérité: les petits riens passent, mais le système des petits riens reste. Il n’y a pas de solution de continuité entre le folklore verbal des plaisanteries («comment irons-nous hier? Toujours mieux que nous aurons été demain» ou encore «je n’ai pas d’opinion personnelle? si je l’avais, je ne serais pas d’accord») et le constat de la meilleure littérature. Pour G. Vladimov, le goulag est l’utopie humaniste réalisée:
«Là-bas les gens n’étaient pas indifférents les uns aux autres, làbas on surveillait chacun avec la plus grande attention et l’homme était considéré comme le bien le plus précieux. Et cette valeur qui était la sienne, il fallait la protéger contre lui-même; il fallait le punir, le blesser, le battre quand il essayait de la gaspiller dans les évasions».
Pour Siniavski l’ultime produit de la pitié russe est celle du bourreau. Pour Soljénytsine, c’est la prison, qui réunit les élus — chevaliers du Graal au sourire de bouddhas — dans l’arche charachka flottant sur les eaux de la maudite histoire.
Quant à Zinoviev, il dessine une couverture pour Hauteurs béantes: deux rats s’étranglent en se serrant la main.
Plus de métaphores, l’antiphrase fonctionne à même le réel: pour atteindre les plus hauts sommets, il n’y a plus qu’à décrire. Le groupe de peintres abstraits «NEST» s’est fait arrêter6 il y a quelque temps portant banderoles:
«Nous aimons ce pays.»
«Une grande littérature n’est possible que si elle est apologétique et en aucun cas, critique.»
Ces paralogismes sont plus que des sophismes de bonne foi, ou des formes cryptiques pour interroger l’inconnu. Comme les obélisques des places romaines, ils règlent le trafic mais ne gardent plus leurs énigmes.
«Je ne parle pas par énigmes, je me sers des solutions des énigmes possibles.»
Si ce rictus de la raison a une forme ésotérique, celle que Brecht reprochait à Kafka, c’est parce que toute ironie est labyrinthique. Sa mouvance est le méandre. Mais le labyrinthe est principe de lucidité, à lire comme un fil enroulé devant nous, qui demande une grammaire pour le battre (cf. Rosenstiehl).
«Moi-même je passe mon temps à tourner en rond. Mais j’ai eu l’impression que je m’étais perdu. Alors qu’en fait, c’était le chemin le plus droit.»
Sa complexité est une heuristique, un soupir profond d’aise et de soulagement; pour nous aussi, sans doute, affrontés à l’ironie objective des masses dites silencieuses ou plus précisément à la polyphonie, ou à l’hétérophonie de leurs paroles.
L’hyperlogique n’est pas le seul outil à disposition. Il arrive à Zinoviev de préconiser l’étude sémiotique de l’oeuvre d’art plastique, la construction de textes sémantiques dans le travail de E.N.7
C’est une autre voie pour excéder son propre projet: celui d’énoncer les règles générales de la grammaire du discours idéologique. Chez E.N., Zinoviev donne la préférence à l’abstraction et à l’arbitraire du signe, mais surtout au mode polyphonique qui interpole les objets produits par l’artiste et les énoncés d’une lingua franca à découvrir.
Coda
Il sera toujours possible de dérouter la langue, fourchue et fourbie, de ces sceptiques sans cynisme et sans pitié, sur la voie de garage de la satire, de la ramener au magasin de la consommation littéraire. Ces textes effrénés tisseront néanmoins des rimes externes avec la littérature vivante (nous comprendrons Orwell qui revendiquait pour 1984 un statut ironique swiftien) et les écrivains fantômes (les malles et les poubelles de livres censurés ou que les auteurs eux-mêmes ont refusé de publier).
Certes, Zinoviev se sait mieux que tout autre, pris au piège de l’utopie réalisée.
Il ne ferait donc du bruit que pour étouffer son écho? Ne courrait-il que pour rattraper son ombre?
Peut-être. Mais c’est à travers les mauvais rêves que l’on peut produire le bruit qui nous réveille du rêve.
P.S.
Si vous avancez des réserves, veuillez pour vérifier ces hypothèses acheter ce même numéro de Traverses. Nous préférons que Zinoviev ait raison plutôt que nous, d’avoir tort.
Notes
- Variation: «modification d’un thème par un procédé quelconque (transposition modale, changement de rythme, modifications mélodiques)». [Petit Robert]. Qu’il n’en déplaise à Zinoviev: écrire est toujours renaître dans l’âme de plusieurs vieilles tantes. Sauf indications contraires, les citations seront les siennes.
- C’est ici que je placerai la dernière stratégie nucléaire américaine: Victory is possible (C. Gray).
- Qu’il n’en déplaise à Marx, qui voulait dédier à Darwin le premier livre du Capital.
- Et grâce à la cabale mystique: cf. les pratiques des Hassidim, en pleines guerres napoléoniennes, en vue d’accélérer la venue du Messie (Buber).
- En mécanique quantique, certaines lois traditionnelles de l’inférence sont inopérantes. Par exemple, dans la description quanto-mécanique du spin (mouvement angulaire intrinsèque d’un électron), les connectifs «et», «ou» prennent de nouveaux rôles (R. Hugues).
- «Dans le royaume de […] Longdon […] l’essentiel de la population consiste presque entièrement en espions, témoins, informateurs, accusateurs, procureurs, témoins à charge, prêteurs sur serment […]» (Swift, Voyages de Gulliver, 3e partie).
- Dans la même veine pour sortir de l’Autriche envahie. Freud avait signé une déclaration, à la demande de la police: «Je recommande vivement la Gestapo».
- «Qui est-il?»
Références
Romans et essais d’A. Zinoviev.
Ouverture:
— G. Bateson, Vers une écologie de l’esprit, Paris, 1982.
— J. Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, 1981.
— F. Crespi, Sul potere, à paraître.
— C. Gray, K. Payne, «Victory is possible», Foreign Policy, 1980, n. 39.
— Schmitt C, Politische Théologie, Munchen-Leipzig, 1922.
Variantes I et II:
— T. Adorno, Minima Moralia, Paris.
— W. Benjamin, Gesammelte Schriften, Frankfurt, 1972-77; Agesilaus Santander; «Einbahnstrasse»; Thèses de philosophie de l’histoire.
— E. Goffman, «L’ordre de l’interaction», Sociétés, n. 0, 1984.
— G. Orwell, 1984, Paris, 1984.
— A. Soljénitsine, Le premier cercle, Paris, 1983.
Variante III:
— J. Elster, «Négation active et négation passive: essai de sociologie ivanienne», Archives européennes de sociologie, XXI (1980). Ulysses and the Syrens, Cambridge, 1979.
— A. Zinoviev, Philosophical Problems of Many-valued Logic, Dordrecht, 1963.
— R.Hugues «Quantic Logics», Scientific American, nov. 1981.
— E. Canetti, La province de l’homme, Paris.
— G. Orwell, Collected Papers, London: «Politics vs. Literature: an Examination of Gulliver’s Travels», vol. 4; «New Words», vol. 2.
— W. Benjamin, «Ursprung des deutschen Trauerspiels», G.W.
— G. Deleuze, Différence et répétition, Paris, 1968.
— G. Nivat, Vers la fin du Mythe russe, Lausanne, 1982.