Douze esquisses sur les lieux communs


Avec Lucrecia Escudero Chauvel, Protée. Revue internationale de théories et de pratiques sémiotiques, Département des arts et lettres, Université du Québec à Chicoutimi, Québec, Vol. 22, n. 2, 1994.
Traduit de l’italien por Eric Landowski.


Le lieu commun apparaît comme un opérateur de la mémoire propre, mais il peut aussi représenter un opérateur phatique qui permet d’enclencher l’interaction communicative. Le lieu commun est un masque stéréotypé du savoir. Tout comme les motifs folkloriques, les lieux communs tissent entre eux un vaste système de classification de l’univers du vécu quotidien. D’où la possibilité d’organiser syntagmatiquement les lieux communs entre eux. Le lieu commun se prêterait-il à une organisation telle qu’iI nous permette lui aussi de nous souvenir de ce que nous ne savions pas encore?

The commonplace appears to be a memory-based operator, but it can also serve as a phatic operator capable of triggering communicative interaction. The commonplace is a stereotyped mask of knowledge. Commonplaces, much like motifs in folklore, are woven into a vast classificatory system for the world of everyday occurrences, a system organized along syntagmatic lines. Would this systematic structuring of the commonplace be such that it allows us to remember what we do not yet know?
UN THÉÂTRE POUR LA MÉMOIRE

Dans les théâtres de mémoire – nous pensons à ceux qui furent dessinés au XVIIe siècle (et introduits en Chine) par Matteo Maria Ricci -, on dispose spatialement une série d’images de telle manière que le parcours de l’une à l’autre conduise le spectateur à reconstruire après coup à la fois un lieu plein et un discours cohérent. Ainsi conçus, de tels «théâtres» constituaient de véritables «lieux communs».
Le lieu commun, de ce point de vue, apparaît comme un opérateur de la mémoire et par conséquent, aussi, de l’oubli. Il est une topique de la mémoire. «Les gens de petite taille sont tous des ambitieux» : excellent exemple de lieu commun, camme principe régulateur de tout un système de comportements. En plus so­phistiqué, le lieu commun est un dispositif qui s’or­ganise à l’image même du théâtre de la mémoire.
Mais il existe aussi une alchimie des lieux com­muns. Dans son livre sur le théâtre de la mémoire, l’alchimiste Giulio Camillo soutient que la mémoire n’est pas seulement un système de stockage mais aussi de transformation. Cette observation peut facilement s’appliquer aux lieux communs, en tant que princi­pes de transformation alchimique de notre savoir sur le monde. Le lieu commun est «alchimique» dans la mesure où il contribue à transformer la connais­sance.

LIEU COMMUN ET STUPIDITÉ

Hypothèse qui n’a rien de très hardi, on peut imagi­ner qu’un homme qui ne dirait jamais que des lieux com­muns serait vite pris pour un parfait idiot. Ce qui re­vient à dire qu’il doit y avoir une connexion étroite en­tre bêtise et lieu commun, ce demier entendu comme un savoir élaboré «ailleurs» et répété mécaniquement. La stupidité résiderait dans la répétition, antithèse de la création et de l’invention.
Roland Barthes était fasciné par les lieux communs comme cristallisations de la bêtise, comme stéréotypes, mais en même temps comme transformation de la mé­moire collective. S’il est une œuvre qui mette précisé­ment ce phénomène en relief, c’est bien le roman de Jerzy Kosinski, La Présence, dont le héros, à force de répéter uniquement des lieux communs appris devant la télévi­sion ou au contact de l’univers du jardinage, finit par passer pour un génie. Au-delà de la réflexion sur la répétitivité et la vacuité de la culture de masse, le livre nous montre le lieu commun non seulement comme ca­pable de produire des effets de connaissance sur la di­mension proprement cognitive, mais aussi comme un opérateur phatique qui permet d’enclencher l’interaction et d’entretenir le flux conversationnel.
Tandis que les cognitivistes tendent à considérer les lieux communs comme des «paquets», des stocks de connaissance acquise, le livre de Kosinski renverse le problème. Le lieu commun devient allusion, appel à l’autre : il engage le contact et sollicite l’interprétation. Et l’on sait qu’avec cette technique, on peut même de­venir président.

LE LIEU COMMUN COMME MASQUE

Le lieu commun est un masque – le masque d’un savoir. Il permet à celui qui écoute non pas d’entendre ce que l’autre lui dit au sens littéral, mais plutòt d’infé­rer ce qu’il veut dire ou ce qu’il veut cacher. «Ah! Les femmes sont les femmes…» – «La vida no es color de rosa…». Le lieu commun est la plus parfaite des petites machi­nes pour faire entendre ce qu’ on ne dit pas ou ce qui ne se dit pas : implications, allusions, collusions, relative­ment à un savoir qui ne se dévoile jamais. Se présentant comme des topoï de la doxa quotidienne, les lieux com­muns sont, mystérieusement et alchimiquement, des lieux de l’allusion. Il est même possible de menacer un homme avec un lieu commun. «Bah! Les hommes ne sont malheureusement que des hommes» : autrement dit, dans la langue du mafieux, «Je te tue».
Le lieu commun, en tant que lieu de transformation de la connaissance, permet aux locuteurs de fixer le ca­dre de leurs échanges conversationnels. Cette construc­tion est naturellement interactive, en ce que chacun des partenaires peut chercher à produire, en convoquant ses propres lieux communs, un discours qui oblige l’autre à interagir sur le même registre allusif. À la limite, deux vrais espions ne se diront que des lieux communs.

LANGUE DE BOIS ET LIEUX COMMUNS

Les lieux communs tendent à s’interdéfinir entre eux, jusqu’à dialoguer à l’intérieur d’une structure fermée. Des codes très puissants permettent des renvois très forts. Greimas notait avec justesse que la science vise à établir des lieux communs. Si, par exemple, dire que «la terre tourne autour du soleil» fait à un certain mo­ment du développement de la connaissance l’effet d’une découverte, une fois que le concept a entièrement péné­tré le corps social, le même énoncé ne peut plus en re­vanche être perçu autrement que comme un lieu com­mun. Le discours scientifique vise à l’interdéfinition et à la stabilisation. En tant que tel, il finit quelquefois par n’engendrer que de la pure trivialité : ainsi du «lapsus freudien», en son temps authentique instrument expli­catif, mais que l’usage a progressivement relégué au rang de banalité. Sans compter que de plus, dans son effort d’interdéfinition, le discours scientifique tend à cons­truire des concepts tautologiques, et par là même se trouve en permanence sous le risque de verser dans la langue de bois.

LES LIEUX COMMUNS COMME MOTIFS

D’un autre côté, on pourrait aussi considérer les lieux communs comme de véritables motifs qui donnent nais­sance à une sorte de vocabulaire au second degré – un vocabulaire dont il serait d’ailleurs possible de dresser l’index, sur le modèle de celui établi par Aarne et Thompson pour les motifs folkloriques. De fait, tout comme les motifs folkloriques, les lieux communs tis­sent entre eux un vaste système de classification, une manière de catalogue de la Lebenswelt, bref un vrai lexi­que de l’univers du vécu quotidien.
Bien souvent, il arrive qu’un lieu commun contienne, sous forme plus ou moins condensée, une trame narrative complète. Tantôt elle sera développée en détail, tantôt utilisée simplement comme segment à mettre en sé­quence dans d’autres micro-récits. Entre autres, les innombrables lieux communs portant sur les défauts supposés (ou les vertus) de divers groupes sociaux montrent bien à quel point ce genre de constructions lexicales en miniature permet le développement de programmes narratifs en expansion. Le lieu commun contient un savoir, non interrogé, qui s’offre alors comme le début ou la fin de la fable à laquelle il donne son sens.

LES LIEUX COMMUNS COMME LIEUX

Pourquoi lieu commun? Pourquoi le mot «lieu»? Peut-on parler ici d’espaces communs, comme le sont les parcs, les fontaines, les passages publics, à ceci près qu’ìl s’agirait en l’occurrence d’espaces faits de langage, et fabriqués par le langage? – Oui, de telles constructions de langage existent, comme voies de passage où tout le monde peut se retrouver et que chacun peut traverser (à moins que ce ne soient elles qui nous traversent). Ceci vaut aussi par rapport à la distribution des espaces de la maison : d’un côté le hall d’entrée, des couloirs, divers espaces communs, tel le salon où tout le monde se retrouve, et puis, par ailleurs, les zones privées. Quoi qu’il en soit, il y a toujours place quelque part, dans tout espace «habité», pour un lieu commun possible. Comment se fait-il que les espions se donnent toujours rendez-vous précisément dans ces lieux communs?
Ce genre de rencontre a été analysé de près par Erwing Goffman dans ses travaux sur l’interaction stratégique. Je ne sais pas où il veut me retrouver, il ne sait pas non plus où je veux le rencontrer. Sans que nous nous soyons concertés, le lieu commun devient alors un lieu évident, où finalement nous nous retrouverons sans accord préalable.
Cependant, même à l’intérieur d’un lieu commun, il peut encore se créer un «lieu» privé. Deux serveurs qui se mettent à manger dans un coin du restaurant créent un lieu privé à l’intérieur d’un lieu commun. Comme quoi les lieux communs ne sont pas fixes dans l’espace, mais dynamiques : ils sont créés par des rapports d’in­teraction. Le lieu commun est une résultante, définie par les comportements qui le circonscrivent.
Comme dans l’espace d’une émission de télévision en direct où le dialogue prend forme dans le cadre de lieux communs aménagés comme tels – modèle de la table ronde, ou du débat face à des participants alignés en files parallèles, ou encore avec questions posées à un invité assis au centre -, nous pouvons repérer plus généralement une forme de spatialité traitée comme lieu commun, reconnue et pour ainsi dire consommée comme telle.

GESTUALITÉ ET LIEU COMMUN

Existe-t-il des lieux communs gestuels? Qu’en est-il en particulier de nos gestes quotidiens, ritualisés, réglés par 1’usage, commandés par le savoir-vivre ou l’«étiquette»? La gestualité crée à l’évidence des lieux reconnaissables, ou non, comme des lieux communs. Si quelqu’un s’agite devant quelqu’un d’autre et si les deux personnes en question se trouvent, l’une par rapport à 1’autre, à une distance «raisonnable», il se crée alors entre elles un espace commun : celui d’une interaction d’un certain type. En revanche, si l’un des participants s’approche davantage de l’autre ou s’il s’en éloigne un peu trop, aussitôt cet espace se rompt et l’interaction du même coup change de régime ou s’interrompt.
Dans le discours des sourds-muets, il est possible d’identifier certains «lieux» gestuels qui définissent le lieu du «je» et celui du «tu». Pointer en direction du ventre ne veut pas dire «je». Pour dire «je», il faut indiquer son cœur. Où 1’on voit que pour parler de soi, il importe de se situer à une certaine hauteur. À défaut de quoi, 1’objet dénoté ne serait plus le moi, mais la faim, ou le mal d’estomac. Il existe en somme un espace pronominal, définissable comme «lieu commun».
De même, s’il s’agit de parler de quelqu’un d’autre, ce ne pourra pas être en indiquant son genou : on s’en doute, c’est là aussi l’espace qui va de la tête au centre de la poitrine qui est seul pertinent. Les sourds-muets savent construire la troisième personne. Pour cela, ils ont créé conventionnellement un lieu commun tel qu’en gesticulant on ne dise plus ni «je» ni «tu», mais plutôt «on dit» ou «ça parle». Il est donc possible de fixer par la gestualité des équivalents pronominaux capables de générer aussi bien des lieux communs subjectifs (comme dans le cas du couple je/tu) que des lieux communs impersonnels – des lieux d’impersonnalité.
Les lieux communs sont ceux que les relations entre sujets délimitent comme tels, en organisant un ensemble de composantes figuratives situées dans le temps et dans 1’espace.

HIÉRARCHIE ET DYNAMISME DES LIEUX COMMUNS

Prenons la série des lieux communs qui traitent de la filiation, comme par exemple «Tel père, tel fils». Ces expressions sont dynamiques, non seulement parce qu’elles permettent de construire une série – toute une gamme – de considérations sur le même thème, mais aussi parce qu’elles admettent la réversibilité interne et, de plus, parce qu’elles invitent à un jeu sans fin d’emboîtements entre le général et le particulier.
D’où, notamment, la possibilité d’organiser syntagmatiquement les lieux communs entre eux. À la phrase de Voltaire, «Les politiques ne sont utiles que s’ils sont nécessaires», une réponse est toujours possible : «Les politiques ne sont nécessaires que s’ils sont ìnutiles». Une telle possibilité de manipulation, une telle réversibilité de certains lieux communs ouvre la voie à de nouveaux effets de connaissance. Le lieu commun apparaît donc – par opposition à 1’idée d’une structure stable et figée – comme une construction dynamique qui permet toutes sortes de permutations. Les lieux communs, tout comme les mots, peuvent s’encastrer les uns dans les autres, s’opposer, se contredire.
L’horlogerie du lieu commun contient aussi un autre mécanisme, qui a pour ressort la hiérarchisation. À la base des lieux communs sur la filiation, on trouve une logique dont le fonctionnement renvoie à un grand motif générique qui est à peu près le suivant : toute situation est en elle-même porteuse de conséquences nécessaires, rien ne s’improvise, l’univers est déterminé. Comme la structure des fables, faite d’encastrements hiérarchisés, celle des lieux communs se compose… de grands lieux communs à caractère général, qui en encadrent d’autres, plus particuliers. Certains récits ne sont tout au plus que des lieux communs dilatés.
Proust termine Un amour de Swann en faisant prononcer à son personnage un de ces «grands» lieux communs : «Au fond, elle ne me plaisait même pas, ce n’était pas mon type». En ce cas, et ceci est très fréquent dans certaines cultures non occidentales, le lieu commun se trouve utilisé à titre de preuve. Dans certains villages africains, on gagne une cause au tribunal en trouvant le proverbe juste. Dans la culture paysanne argentine, les vers de Martin Fierro ont encore aujourd’hui la même valeur probatoire.

LIEUX COMMUNS ET CONTEXTUALISATION

Nous avons vu que les lieux communs peuvent parfois – souvent – être tautologiques. N’apportant alors aucune connaissance nouvelle, ils fonctionnent plutôt comme principes de vérification. Cependant, utilisé par deux personnes dotées de statuts, de compétences ou de pouvoirs différents, le même lieu commun acquerra ipso facto des valeurs distinctes ou opposées. La formule «Les pauvres seront toujours des pauvres», prononcée par un pauvre, exprime une certaine philosophie : amertume, clairvoyance, capacité d’auto-analyse, révolte; prononcée par un riche, tout cela devient au contraire cynisme, froideur, pur constat. Convoqué pragmatiquement dans des circonstances sociales distinctes, un lieu commun donné dit par conséquent tantôt blanc tantôt noir : reconnaissance fataliste de la façon dont va le monde, ou réaffirmation et légitimation des barrières sociales.

LIEUX COMMUNS ET FIGURATIVISATION

Les lieux communs sont-ils figuratifs? À partir de quel moment la surcharge de figurativité fait-elle disparaître le lieu commun? Indifféremment applicable à tous les cas particuliers, un lieu commun est par nature abstrait. On peut dire: «Les Écossais sont avares»: par contre un lieu commun du type «Mr MacDouglas est avare» ne serait pas pensable. Dans l’alchimie du lieu commun intervient une règle de dosage de la figurativité : passé un certain seuil, le lieu commun s’évanouit.
Il est clair que la plus grande partie des lieux communs se manifestent sous la forme de phrases toutes faites. Le «saut de caille» («il salto della quaglia») est une formule issue du langage de la chasse, où elle désigne un brusque changement de position du gibier. Actuellement, elle est utilisée à propos des hommes politiques qui changent de camp en fonction des opportunités. Pourtant, des variantes du genre «un beau saut de caille» ou «les sauts de la caille» sont impensables.
Les formules toutes faites ne sont pas modifiables. On ne peut pas les mettre au pluriel ou les faire passer au singulier, changer le masculin pour le féminin ou l’inverse. Il s’agit là de concrétions linguistiques résistantes, de briques réfractaires à l’adjectivation, à la déclinaison et, en général, à toute manipulation grammaticale. Inconjugables et indérivables, les lieux communs résistent imperturbablement aux assauts de la grammaire.

LIEUX COMMUNS ET SAVOIR POPULAIRE

Apparemment, le caractère pratique du lieu commun tient pour une bonne part au fait qu’il condense un savoir populaire partagé, dans une large mesure, par la communauté linguistique qui l’utilise. Ce type de savoir, où un condensé de notions relatives à la vie quotidienne se mêle à des compétences qui sont plutôt de l’ordre du savoir-faire, a vocation à être convoqué pour conclure les conversations, pour trancher dans les procès, pour décider en toutes choses de la vérité. Le lieu commun se structure comme un savoir véritable.
Le «commérage» est, parmi d’autres, une pratique qui se fonde sur la problématique du lieu commun. Synthèses de ce savoir populaire, les histoires passe-partout qui s’y racontent – celle, par exemple, de cette dame «qui a trouvé un serpent caché sous un plant de yucca» -, sont par excellence faites pour favoriser la circulation des on-dit. Cas exceptionnels et impensables, mais précisément pensés comme pour mettre à l’épreuve le savoir populaire et qui finissent toujours par confirmer les lieux communs. Ceux-ci deviennent alors autant de points d’ancrage propres à stabiliser les flux de la vie quotidienne.

UNE POÉTIQUE DU LIEU COMMUN

La langue chinoise est réputée pour l’extrême souplesse de ses structures syntaxiques. D’un autre côté, cette langue est celle d’un pays où, au dire des voyageurs et de quelques spécialistes, prédomine la «fadeur», comme effet de sens. Pourquoi? Peut-être parce que du moment où l’indétermination, la neutralisation (autre thème qui fascinait Barthes), prévues par le système, me permettent dans telles ou telles conditions particulières de suspendre le sens – de dire «je ne suis pas ceci, mais pas non plus cela» -, alors tout peut arriver.
De là, sans doute, l’émergence d’une esthétique du négatif, de l’alibi, du neutre. À partir d’un terme neutre, tous les termes complexes que l’on veut sont possibles et toute chose peut aussi être ou devenir son contraire. Ainsi, un principe d’imprévisibilité et de créativité paraît s’affirmer, à l’opposé du principe de classification et d’ordonnancement du monde dont il était question plus haut.
Youri Lotman, qui s’était beaucoup préoccupé du problème de la mémoire, soulignait que si d’un côté, selon la perspective la plus courante, la mémoire est conçue comme un stock de connaissances réactivables et que l’on peut toujours retrouver intactes, d’un autre côté, dans l’hypothèse d’une mémoire créative, les éléments mémorisés ne peuvent être qu’en continuelle transformation : on ne les rapporte jamais du voyage mémoriel sans quelque chose en moins, ou en plus, que ce qu’ils étaient au départ.
À la différence du lieu commun, le discours poétique est organisé de telle manière qu’à chacune de ses énonciations nous pouvons y capter une signification renouvelée, comme dans le si célèbre «A rose is a rose». La qualité même du texte poétique tient à ce qu’il s’organise de façon à nous promettre indéfiniment d’en savoir plus.
Théâtre de la mémoire, organisation hiérarchique et dynamique, figurativisation, programmation narrative, tout cela trouve alors son unité alchimique dans une structure interne telle qu’en se souvenant, on se souvient non seulement de ce que l’on sait, mais même d’un peu plus. Le lieu commun se prêterait-il à une organisation – poétique – telle qu’il nous permette lui aussi de nous souvenir de ce que nous ne savions pas encore? Le lieu commun, non plus mémoire de ce que l’on a su (et même de ce dont on ne savait pas qu’on le savait), mais mémoire de ce dont on ne s’était jamais encore souvenu – mémoire au futur.

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