Paolo Fabbri, les profondeurs de l’apparence. La provocation sémiotique 2


Yves Jeanneret, Communication et langages, n. 148, juin 2006.


Dans la première partie de cette synthèse, destinée à présenter aux lecteurs français quelques aspects de la sémiotique de Paolo Fabbri1, j’ai insisté sur le rôle que cet auteur attribue aux différences dans les processus de communication, ainsi que sur les conséquences de ce point de vue pour les questions de culture et de pouvoir. Je voudrais à présent montrer que ce parti pris théorique engage un examen radical de ce qu’est la communication. Comment regarder ce processus dans une sémiotique de l’hétérogénéité? Qu’est-ce que celle-ci remet en cause des conceptions qui prévalent dans les sciences de l’information et de la communication? Quels nouveaux questionnements en résultent, quelles nouvelles limites sont rencontrées? Les textes de Fabbri seront ici ouvertement instrumentalisés pour servir une réflexion sur la communication. Et, symétriquement, pour éclairer quelque peu ceux, très nombreux dans les sciences de l’information et de la communication et la sociologie de la communication françaises, qui caricaturent la sémiotique sans la connaître.
Fabbri a tout particulièrement étudié les objets qui résistent à tout «modèle standard» de la communication. Certes, cette prédilection pour les situations difficiles et les formes ambiguës ne signifie pas qu’il entende réduire toute communication à de tels cas limites. Il y a même, sans doute, un versant traditionnel dans la pensée de Fabbri qui – fidèle en cela aux traditions de la recherche sémiotique – préfère présenter ses aventures interprétatives comme un approfondissement de modèles classiques auquel il reconnaît une certaine robustesse pour nombre de situations. Mais la communication qui fonctionne intéresse moins Fabbri que celle qui révèle un procès désordonné et incertain.
C’est tirer Fabbri à moi que d’affirmer, comme je le fais ici, qu’il propose une théorie de la communication. Fabbri préfère parler de processus de signification. A cet égard, il suit Barthes, qui opposait une sémiologie de la signification à la sémiologie de la communication. En effet chez les fonctionnalistes avec lesquels Barthes débattait, communication signifiait transmission intentionnelle d’un contenu de pensée: ce qui autorise à exclure ce qui ne relève pas de l’intention de transmettre une information et à soumettre tout processus sémiotique à un impératif du «signal». Fabbri est féroce pour ce modèle, qu’il s’emploie à débusquer, à peine modifié, dans les analyses cognitivistes. Comme Barthes, il pense que tout signifie, qu’il n’y a pas lieu de distinguer ce qui est signe de ce qui ne l’est pas.
Cela n’empêche pas que la communication, entendue comme une activité sociale susceptible de formes variées, et non comme un modèle mécaniste, joue un rôle constitutif dans la production du sens telle que l’envisage Fabbri. En effet, aucun des éléments de ce procès, même le code ou les signes, ne peut être défini indépendamment de l’échange interprétatif. Qu’il puisse y avoir, parfois, du contrat (instable), du code (provisoire), de l’interaction (fantasmée) relève d’un processus d’interprétation, toujours incertain, des apparences, dans un cadre marqué par le conflit et la différence. Ce qui fait d’ailleurs, comme on va le voir, qu’on peut tout à fait communiquer sans contrat, s’exprimer dans l’incertitude des codes, se manifester pour se soustraire aux interactions, etc.

Mise en perspective: Fabbri à partir de Bakhtine

J’ai choisi, pour mieux saisir la particularité de l’approche de Fabbri, de la situer par rapport à celle de Bakhtine, mieux connu en France dans la mesure où il a été en partie traduit depuis assez longtemps. La théorie philosophique du langage de Bakhtine offre un point de vue à partir duquel les partis pris théoriques de Fabbri apparaissent clairement. On connaît la formule métaphorique de Bakhtine:

La signification est l’effet de l’interaction du locuteur et du récepteur, s’exerçant sur le matériau d’un complexe sonore donné. Ceux qui ne tiennent pas compte du thème2, qui n’est accessible que par un acte de compréhension active, comportant une réplique, et qui s’efforcent, pour déterminer la signification du mot, d’atteindre sa valeur inférieure, celle qui est toujours stable et égale à elle-même, c’est comme s’ils cherchaient à allumer une lampe après avoir coupé le courant. Seul le courant électrique de la communication verbale fournit au mot la lumière de sa signification3.

Négligeons dans un premier temps le privilège donné à l’oral pour nous centrer sur la dynamique de la communication. Pour Bakhtine, la valeur de la communication réside dans la distance que provoque l’interaction de personnes dont l’expérience et les moyens d’interprétation divergent. Cette différence de potentiel n’est pas un complément ou un correctif pour la communication. Elle est condition sine qua non du sens. Une communication dont l’homogénéité serait totale – idéal type monstrueux qui, pour Fabbri, est incarné par l’homo sovieticus des romans de Zinoviev4 – ne pourrait aboutir qu’à de l’insignifiant.
Ce qui rapproche Fabbri de Bakhtine éclaire son épistémologie comme ce qui l’en distingue. Fabbri prend le processus d’interaction par le même bout que Bakhtine: ni par le contrat, ni par le calcul. Les sémiotiques du contrat explicitent un espace de rôles et de règles régissant a priori tout échange. Les sémiotiques cognitives mènent de la référence directe à l’implication indirecte. Dans un cas comme dans l’autre, le primat du solide et du fixe (fussent-ils simplistes) est condition de scientificité. Fabbri part de l’incertain, de l’indéfini, de l’instable. La signification est pour lui le résultat pratique d’un processus d’interprétation et de transformation: un processus qui exploite le fait que les systèmes jouent (au sens où un assemblage joue) qui dynamise l’espace d’ambiguïté et de tension que tolèrent les signes. Pour lui, le langage est d’abord élastique. Dans la mesure où la communication repose sur la capacité des langages à porter des représentations divergentes et conflictuelles du réel – dans la mesure où Babel n’est pas le monstre mais le modèle de la communication humaine5 – on ne peut faire reposer l’analyse des actes de communication sur l’idée de code. Le code peut être résultat, il n’est pas prémisse. Nous aurons à y revenir.
Il s’agit donc, chez Fabbri comme chez Bakhtine, de collectifs humains qui apprennent à interpréter leurs actes et créent ainsi du texte et de la norme. C’est une approche dynamique du processus d’élaboration de la signification. Fabbri a, me semble-t-il poussé à ses limites la posture bakhtinienne, telle qu’elle s’exprime dans de nombreux passages comme celui-ci:

L’élément qui fait de la forme linguistique un signe n’est pas son identité comme signal, mais sa mutabilité spécifique: de même que ce qui constitue le décodage de la forme linguistique, ce n’est pas le fait d’identifier le signal, mais le fait de comprendre le mot dans son sens particulier, c’est-à-dire de saisir l’orientation qui est donnée au mot par un contexte et une situation précis, une orientation vers l’évolution et non vers l’immobilisme6.

Mutabilité spécifique: c’est une assez bonne définition de ce que Fabbri analyse.
On peut marquer malgré tout deux grandes différences entre la posture de Bakhtine et celle de Fabbri.
La première tient à la façon d’ordonner ce qui fait la matière concrète des échanges, ce qu’on nomme depuis Hjelmslev le plan de l’expression. Chez Bakhtine, le langage verbal (mots, textes littéraires, paroles) est le substrat par excellence de l’interaction. Celle-ci est «réponse» de l’individu confronté à la parole de l’autre. Le langage verbal est l’opérateur de cette dynamique, parce qu’il assure une relation entre représentation psychique et interaction sociale. Bakhtine rend intelligible la communication en privilégiant le mot, dont il fait la charnière entre le monde psychique de la représentation et le monde social de l’échange.
Pour Fabbri – héritier des critiques du logocentrisme7 – la question ne se pose pas dans ces termes. L’analyse de la communication ne part pas du langage verbal, ni d’ailleurs de quelque autre forme particulière de l’expression. Se demander si le «social» correspond au «langagier», n’y a pas de sens. Il ne suffit pas de découper l’expression en une somme de signes de nature différentes (par exemple la parole, l’écrit, l’image, le geste, etc.) qu’il s’agirait de combiner. En effet, la communication consiste en un processus global associant des pratiques humaines à des objets. Reconnaître un message, un signe, un code – par exemple poser l’opposition verbal/non-verbal – constitue une opération de traduction. La distinction entre les codes est le résultat du processus qu’on se propose de comprendre.
Cette première différence en éclaire une seconde, qui concerne la dynamique du processus d’interaction: ce qui peut lui donner énergie et orientation. Plutôt que de s’opposer à Bakhtine, Fabbri radicalise ses hypothèses. Pour Bakhtine, l’interaction manifeste un conflit des interprétations et des valeurs, mais trouve son véritable horizon dans le dialogue. Aussi la pratique communicationnelle autorise-t-elle l’élaboration d’un fond d’intercompréhension, qui double en profondeur la surface des énoncés. Certes, le dialogisme bakhtinien est un concept abstrait, et non une forme particulière de l’expression, par exemple la conversation. Mais il engage l’analyse de l’interaction dans la perspective de la reconnaissance compréhensive d’une intention8. A partir de là, une ambiguïté fondamentale habite le modèle bakhtinien: si le texte, en tant que production singulière, joue un rôle majeur dans sa conception de la communication, puisqu’il est ce qui permet les déplacements et les échanges, son statut n’est pas bien établi. S’agit-il vraiment d’un objet doté d’autonomie, qui autorise une interprétation affranchie des intentions de son auteur, ou s’agit-il de l’énoncé d’une intention, à laquelle répond une réplique9? L’interrogation bakhtinienne autorise deux sémiotiques: soit on cherche, derrière la manifestation observable des «énoncés», une sorte de dialogue des consciences; soit on donne un statut fort au texte, en tant qu’objet remué par l’échange et on s’emploie à définir des stratégies d’expression et d’interprétation qui portent sur cet objet, dans sa concrétude et ses apparences.
Fabbri choisit la seconde option. Il pousse à ses limites une sémiotique de l’apparence. Pour lui, aucun fond constant, aucun dialogue secret, ne vient doubler la relation au texte. Chacun définit son rapport aux autres dans la surface des objets et des corps. C’est pourquoi le texte reçoit chez lui la définition la plus extensive qui soit, concernant les objets, les gestes, les attitudes du corps, les processus de l’action. Fabbri n’est pas le seul aujourd’hui à défendre ce type de position au sein de la communauté sémiotique internationale. Faire place aux pratiques, prendre en compte la conflictualité, reconnaître un statut aux objets, qualifier l’engagement corporel, c’est essentiel pour une large part de la sémiotique actuelle (loin des caricatures qui circulent encore). Toutes ces préoccupations théoriques étaient d’ailleurs mobilisées par Barthes, Paolo Fabbri est de ceux qui l’ont mis en évidence.
Mais Fabbri a tout particulièrement poussé ces postures à leurs limites. L’audace de ses choix tient au fait qu’il tire les conséquences ultimes des difficultés auxquelles aboutit une telle approche de la communication. Fabbri incarne, en somme, une sémiotique qui préfère abandonner les garde fous rassurants d’une théorie fixiste ou analytique de la communication, car le fait que cette théorie soit rassurante ne rachète pas le fait qu’elle soit fausse. C’est pourquoi Fabbri, plus que d’autres, a travaillé délibérément à remettre en question des croyances qui marquent profondément la sémiotique (et les études de communication), en fonction de la filiation qui la relie à la méthode linguistique et à la philosophie du langage. C’est ce que nous allons nous employer à mieux comprendre.

Texte, processus, transformation

Pour entrer plus avant dans ce travail critique, il faut d’abord revenir sur quelques-unes des catégories essentielles que mobilise Fabbri et, symétriquement, sur celles dont il veut faire l’économie.
«Par où commencer?» demandait Roland Barthes, «suffoqué par l’hétéroclite du langage humain» jusqu’à ressentir l’«oppression du commencement impossible»10. Barthes pensait à un premier inventaire des codes élémentaires de la signification, qu’il sempressait ensuite de déconstruire lui-même. Pour Fabbri, qui conçoit, on l’a vu, la sémiotique comme une intervention au sein de la pratique signifiante, il n’est pas question de partir d’une théorie du signe. Il s’oppose ainsi à un canon méthodologique bien établi, qui suppose qu’existent des signes, dont l’analyste doit découvrir le lien avec la réalité. L’analyse sémiotique relève d’un geste, désignant lui-même ce qui va être considéré comme signifiant. Elle part de l’observable empirique, qui est constitué, en bloc, pas des objets matériels et des pratiques complexes, pour organiser ce disparate en fonction des enjeux d’une analyse. Le «tournant sémiotique», c’est cela: concevoir la connaissance comme une investigation qui suscite un certain type de regard sur les pratiques qui s’offrent à lui, mais lui résistent aussi. C’est pourquoi, on l’a vu, aucune distinction n’est possible entre sémiotique théorique et sémiotique appliquée. L’analyse sémiotique rompt ainsi sa dépendance vis-à-vis de deux aînées qui sont des obstacles épistémologiques à l’affirmation de sa spécificité: la théorie de la représentation du réel par le signe et le canon méthodologique de la combinatoire.
Pour comprendre cette posture, j’ai choisi de suivre de près le raisonnement de Fabbri dans un passage de son Tournant sémiotique, où il explicite ce parti pris. Fabbri, adepte des exemples emblématiques, part de la question: que signifie un tableau en peinture? Il montre qu’un tableau présente une organisation de l’expression qui permet des dimensions de sens dont ne rend pas compte le simple récit de la scène qu’il représente. Le refus de ramener tout signe au verbal n’a pas seulement pour effet de défendre la spécificité de telle substance de l’expression par rapport à telle autre (l’image, le geste, etc.). Il va au-delà de cette confrontation, pour définir une approche des pratiques de sens qui ne relève pas d’une combinatoire, d’un jeu de «lego». Le sens ne résulte pas d’une somme de morceaux qu’apporterait chacun des signes.

La première chose à faire est […] de se libérer d’une sémiotique qui croit que tout dépend des mots, ou de signifiants qui pourraient, d’une façon ou d’une autre, être énoncés sous une forme linguistique. On peut de cette façon abandonner toute une série d’illusions de la première sémiotique. Par exemple, selon l’une d’entre elles on pouvait traiter comme des signes, soit certaines unités plus petites, soit les unités textuelles plus grandes composées avec les premières11.

Cette question de la «taille des signes» est, selon Fabbri, mal posée. La volonté de découper les signes en catégories (réalisé par l’interprète courant comme par le sémioticien) traduit simplement les croyances en vigueur sur la réalité des objets. Pour le faire comprendre, Fabbri commente sa propre situation de parole en tant que conférencier:

Si vous voulez arriver, par exemple, très finement, au grain de ma voix, vous pouvez tout à fait le faire. En somme, il n’y a aucune unité élémentaire12 du sens établie à l’avance: elle dépend du plan de pertinence d’analyse sur lequel vous décidez d’opérer, c’est-à-dire de ce que vous cherchez.

En somme, le point de vue de Fabbri consiste à remplacer la mise en œuvre d’une ontologie du signe par une question posée aux pratiques. Ce changement de point de vue impose de considérer le texte, en tant qu’objet immédiatement complexe, comme le seul point de départ explicite de l’analyse. Mais il engage aussi, nécessairement une conception élargie de la notion de texte. Je cite un peu longuement ce passage essentiel

Naturellement, on ne peut exclure l’idée qu’il existe certains signes qui peuvent être considérés à certaines fins comme élémentaires. Mais cela ne signifie nullement qu’il existe toujours des signes élémentaires, selon le modèle des mots, signes dont les combinaisons formeraient des phrases ou des textes. C’est bien plutôt le contraire qui arrive: il existe seulement des textes, non pas seulement des textes de mots, mais des textes d’objets complexes, des morceaux de mots, de gestes, d’images, de sons, de rythmes, etc., c’est-à-dire des ensembles que l’on peut découper selon les nécessités et les priorités de l’enquête13.

Je souligne ici, notamment à destination de ceux qui croient encore qu’il est possible d’analyser la communication sans sémiotique, que la notion de texte, en tant qu’objet matériel saisi par un acte d’interprétation, est un concept absolument indispensable à l’analyse des processus de communication qui se veut en prise sur les observables de la pratique, sauf à se donner de cette pratique une définition purement insensée, mais que la définition ici adoptée de la notion de texte n’a rien à voir avec la mise en relation de deux essences, le «langage» et la «société», ni avec la figure du sémioticien étudiant seul dans son bureau une simple collection de livres. Le sémioticien observe, autant que le sociologue, les pratiques, il les observe seulement autrement.
On peut voir dans cette déclaration une position «constructiviste». Sans doute est-ce justifié, car la sémiotique assume ici son caractère de pratique subjective qui, en quelque sorte, crée son objet. En quelque sorte seulement, on va le voir. Selon un paradoxe épistémologique auquel sont confrontés tous les chercheurs en communication, deux mouvements se voient définir l’un par l’autre: prélever les objets de l’analyse au sein de la complexité du concret, définir les catégories de description de ces objets, C’est, il faut l’admettre, une grande difficulté de l’analyse des pratiques de communication. La position de Fabbri consiste à accepter cette difficulté et même à la rendre discutable. On connaît l’alternative: elle consiste à définir a priori l’objet par les traits mêmes du canon méthodologique de la discipline, ce qui conduit à exclure, a priori, tout ce qui ne relève pas de cette méthode, comme si cela n’existait pas14. Quitte à tenter de rejoindre ensuite la complexité des objets sociaux par des constructions complémentaires (calculs, inductions, etc.). Fabbri place sa sémiotique du côté des recherches qui prétendent se confronter aux objets dans leur complexité sociale, ce qui signifie qu’elles ont à transformer les objets concrets, d’où elles partent, en objets de recherche15. La nature théorique des objets de connaissance s’élabore dans le mouvement même de définition d’un regard sur les observables sociaux. C’est évidemment un choix essentiel: il éloigne la sémiotique de la tradition linguistique, car, comme on le sait, un objet pour le linguiste se définit par le fait qu’il ne contient, au départ, que ce que la linguistique sait étudier.

Processus, substances et liens

Toutefois, ranger cette position dans un «paradigme constructiviste» n’est éclairant qu’en apparence. L’important est de comprendre quelle position théorique justifie ce choix. Et surtout de ne pas oublier que le travail empirique, au contact des pratiques telles qu’elles se donnent et résistent, est le moteur de toute recherche. Epistémologie du construit donc, mais non de l’abstrait. C’est une position difficile à résumer ici, précisément parce que c’est dans la confrontation à chaque objet que Fabbri définit ses concepts. Je souhaite seulement indiquer, très succinctement, que trois partis pris sont ici inséparables: placer les substances d’expression dans un continuum matériel, raisonner en termes de processus, rendre discutable la question du lien anthropologique en jeu dans la communication.
Rappelons d’abord que, pour Fabbri, la question des codes se pose dans un contexte où l’hétérogénéité sémiotique est la règle. L’entretien avec Nicola Dusi, qui figure en conclusion de l’Eloge de Babel, intitulé «Deux mots sur la transposition», est très éclairant à cet égard, dans la mesure où il place au cœur de la discussion théorique l’activité de transformation (transposition, transmutation, traduction): une activité qui, comme on l’a vu dans l’article précédent, assure la communication dans l’hétérogénéité des cultures. Fabbri reconnaît qu’un tel parti pose des problèmes de scientificité, les sciences ayant l’habitude de fixer les objets. «La traduction, écrit-il, est un art de faire qui met en crise les discours scientifiques parce que, d’évidence, elle manifeste la modification»16. Fabbri précise alors que les hypothèses qu’il fait, en théorie, sur la substance de la communication sont indissociables de la priorité qu’il donne, dans l’analyse, à la notion de processus. Ce que montre la façon dont il choisit d’inverser la position classique du problème de la traduction:

Jakobson disait, comme d’autres ailleurs, qu’il y a la traduction linguistique puis ensuite la transduction. Mais ce n’est pas le point de vue moderne. Le point de vue moderne est d’admettre au contraire que nous vivons dans les transductions, et qu’une partie d’entre elles consiste en la traduction linguistique, avec sa propre syntaxe17.

Par-delà la remise en cause du primat de la langue, c’est le partage entre les signes et le monde qui est discuté. On ne peut simplement poser une relation entre deux mondes, un monde de signes (représenté par excellence par la langue) et un monde d’objets, qui constituerait pour la langue un ensemble de référents. On doit partir de l’idée d’un sujet impliqué dans le monde comme dans un univers avec lequel il développe une relation signifiante. Un univers qui lui parvient, en lui-même, comme une réalité signifiante. C’est ce que Fabbri nomme ailleurs «le signifiant du monde».

L’une des façons pour la sémiotique d’aborder la problématique du signe est de considérer ce dernier comme articulé en deux faces – signifié et signifiant – et à ce titre renvoyant à la réalité. Il y aurait, au-delà du langage, à l’extérieur des systèmes de signes, un référent, c’est-à-dire quelque chose d’extérieur au signe, vers lequel nous ferions «signe». Je proposerais que cette hypothèse se voie, sinon modifiée, en tout cas doublée d’une autre: l’idée que le langage ne serait pas l’unique sémiotique, c’est-à-dire le seul système de signes à travers lequel le signifié s’exprime, mais que le monde naturel lui-même, dans la mesure où nous le percevons comme un ensemble de pratiques signifiantes et d’organisations signifiantes, serait une macrosémiotique18.

L’étude des textes littéraires montre par exemple que ceux-ci sont façonnés, dans leur propre matière linguistique, par des phénomènes de forme, de dynamique, de rythme qui définissent le cadre de la perception et de l’existence. Le processus qui sémiotise le monde, qui associe sans cesse des formes à des contenus et déplace sans cesse ces rapports, concerne le monde naturel, tel que l’homme le perçoit, le visible, tel qu’il l’élabore, les catégories à travers lesquelles cette élaboration elle-même se pense.
Or, dans la perspective qui est la nôtre, qui consiste à débusquer des questions difficiles pour la communication, il ne suffit pas d’observer que cette posture rattache Fabbri au mouvement de réappropriation de la dimension corporelle, sensible et perceptive (phénoménologique), de l’activité de communication, qui marque la sémiotique actuelle. Ce qui est d’ailleurs vrai, puisqu’il a été l’un des instigateurs de ce mouvement19. Il s’agit bien en l’espèce de la façon de comprendre comment les textes interviennent dans la communication. A la question «par quoi commencer?», Fabbri répond, en somme: par l’idée que l’homme institue et redéfinit en permanence la dimension signifiante de ses rapports avec le monde naturel, avec ce que les autres hommes lui montrent d’eux-mêmes, avec les ressources de la représentation. C’est au sein de ces processus qu’émergent des textes (des ensembles dotés de signification) et que s’individualisent des langages (des systèmes signifiants engendrés par ces opérations de transformations). Fidèle à la tradition de Hjelmslev, Fabbri représente la fonction sémiotique comme le processus qui réalise la conjonction d’un plan d’expression avec un plan de contenu. Mais, loin d’être seulement la procédure technique de tel ou tel système, le rapport entre expression et contenu (son déplacement, sa redistribution, son transfert d’objet en objet) est un travail, que réalise l’ensemble des pratiques de communication. C’est plus exactement, ce processus lui-même qui institue les lieux où les contenus trouvent leur mode d’expression: jamais seulement dans un objet ou un signe isolé, toujours dans un partage complexe des formes sensibles et matérielles. Par exemple le corps nu, qui est expérience de vie, prend forme dans une esthétique, qui donne naissance à une politique (de la masculinité) et se rattache à une épistémologie (du vrai). Les circulations sont incessantes, entre l’expérience sociale du corps, les canons de la représentation, les inventions de la création plastique, les discours qui exploitent et orientent ces pratiques. Sans compter le retour réflexif sur et contre ces normes. C’est cette élaboration plurielle qui fait que des entités comme la chair, le voile, le miroir, prennent des valeurs culturelles étendues20. La posture d’observation de Fabbri, à la croisée des pratiques artistiques et des objets triviaux, tire de cette hypothèse théorique sa pleine pertinence.
Dans un but de clarté, on peut donc opposer terme à terme cette approche à l’approche cognitive. Celle-ci pose d’abord deux entités, le réel d’un côté et le langage d’un autre; elle suppose un usage normal du langage, qui consiste à représenter des référents dans le monde; elle pose que les hommes s’efforcent de réaliser efficacement entre eux le transfert de ces représentations. C’est à partir de là qu’elle développe ensuite son ouverture vers la diversité des pratiques de communication: établir des règles d’énonciation indirecte pour expliquer comment ce renvoi peut devenir métaphorique, allusif ou ironique; placer la grammaire ainsi définie en relation avec les autres langues, selon l’opération de traduction; envisager la combinaison de codes composites avec des «langages non verbaux», qui encodent différemment un même langage mental. L’approche de Fabbri procède de façon rigoureusement inverse. Elle nous propose un sujet qui interprète et manipule les objets qu’il perçoit, au sein d’un univers marqué par le caractère indistinct de l’expérience sensible; elle analyse la constitution historique de normes et de langages marqués par une extrême hétérogénéité; elle cherche à expliquer comment, de cet univers potentiellement signifiant mais largement indifférencié, émergent des principes d’interprétation plus ou moins autonomes; comment s’y opèrent des processus de transformation et de traduction; comment, selon les cas, ces processus aboutissent à certains types de rapports anthropologiques, du partage strict de normes explicites à l’incompréhension totale.

Mettre en question le contrat anthropologique

Les approches purement cognitives de la communication ont un grand avantage, c’est qu’elles sont dotées, par elles-mêmes, d’un principe de relation anthropologique. On le voit par exemple dans le parcours spectaculaire de Dan Sperber, d’une critique des anthropologues à une mathématique de la pertinence. Comme on est certain, d’emblée, que ce qui est en jeu dans l’échange, c’est la recherche de l’efficacité maximale dans la transmission des représentations, il est certain que les hommes n’ont en tête qu’une idée, élaborer des codes qui optimisent le rapport effet/effort dans l’identification des messages. Dans sa naïveté même, cette solution prouve qu’on ne peut proposer une analyse sémiotique sans mobiliser d’hypothèse sur la relation anthropologique (ni, d’ailleurs, l’inverse). Celle-ci est assurément, et la plus performante, et la plus pauvre…
La thématique du contrat propose une version plus riche de cette même relation, au prix d’une ambiguïté plus grande. En effet, derrière le même terme de «contrat» ou de «pacte», peuvent se cacher différentes conceptions du processus de communication, depuis celle qui suppose que les sujets ratifient implicitement des règles fondamentales (des règles en quelque sorte transcendantales) jusqu’à celle qui se borne à constater que toute production langagière se redouble d’une forme de commentaire: qu’elle relève d’un acte de métacommunication implicite sur le processus lui-même. Or, par-delà ces positions théoriques assez distinctes, travaille une métaphore qui, saisie par diverses instrumentalisations sociales, propage une idéologie consensuelle, mais possessive, des «publics»21. On peut dire que, dans l’analyse sémiotique, la notion de contrat trahit une prise en compte, mais encore partielle, du fait qu’une définition des rapports anthropologiques est en jeu dans le processus même de communication. On pourrait dire que là où le cognitiviste prétend faire la police dans le travail de l’anthropologue, le théoricien du contrat préfère désigner sans trop de précision la question du rapport symbolique et la laisser à l’anthropologue.
Ce qui peut particulièrement intéresser les chercheurs en communication, c’est que Fabbri fait de cette difficulté même un thème permanent de sa recherche. Peut-être même pourrait-on avancer l’idée qu’au fil de son œuvre c’est cette question (quel jeu les hommes jouent-ils lorsqu’ils communiquent?) qui fournit aux analyses leur moteur. Il me semble que cette attitude est fortement reliée à celles que nous avons pu déjà relever. C’est bien parce que le monde du sens ne part pas de règles homogènes que la relation y est en redéfinition constante. Sur le plan des références, Fabbri discute en permanence les travaux d’anthropologie et de philosophie politique (Latour, Giddens, Foucault, Goffman, etc.) en montrant qu’elles sont porteuses de conceptions du sens. Dans la conduite des analyses, il interroge en permanence les hypothèses anthropologiques implicites que telle ou telle analyse peut mobiliser, mettant en question les fameuses versions «normales» ou «standard» de la communication, avec le souci, que nous avons déjà rencontré, de chercher systématiquement les cas limites qui pourraient contester profondément ces présupposés. Dans une préface rédigée pour un dictionnaire de sciences sociales, Fabbri s’explique sur le fait que sémiotique et anthropologie partagent le même terrain d’investigation. Il est nécessaire, explique-t-il, que la sémiotique engage un dialogue profond avec l’anthropologie, parce que toute sémiotique comporte des conceptions anthropologiques sous-jacentes, sur la façon dont se construisent les conditions de l’échange social et sur la nature des construits sociaux sur lesquels repose le sens. Ce dialogue est une «opération à haute portée théorique» qui suppose, comme toute opération de traduction, une transformation dans chacune des disciplines. Mais il est nécessaire, car «le terrain commun est celui de la médiation symbolique». Ainsi se dessine un programme ambitieux:

Il revient, semble-t-il, à une approche anthropologique et sémiotique d’étudier non les codes et les signes, mais les systèmes et les processus de la signification qui caractérisent les cultures et en (re)produisent: les sujets et les objets, les pratiques et les passions22.

Fabbri ne joue pas l’une contre l’autre la sémiotique et l’anthropologie et ne cherche pas davantage à réduire l’une à l’autre. L’hétérogénéité des niveaux auxquels se constitue le processus de communication (textes, normes, situations, postures interprétatives) n’a pas à se résorber dans une logique homogène, pas plus que l’hétérogénéité des signes eux-mêmes.
Il me semble que cette posture théorique a des conséquences importantes en termes de formulation de l’analyse sémiotique: qu’elle autorise, chez Fabbri, un style d’expression de la pensée qui le distingue de beaucoup de sémioticiens formés comme lui dans l’école greimassienne. La sémiotique n’a pas chez Fabbri pour visée de subsumer entièrement l’épaisseur empirique des phénomènes dans les modèles. La sémiotique est un art rigoureux, qui use avec modération des modèles: modèles analytiques mais aussi, comme on l’a vu, métaphoriques. Dans Le tournant sémiotique, Fabbri s’explique sur ce tour de la connaissance sémiotique, qui ne peut viser une clôture complète du modèle, pour deux raisons. La première est qu’elle relève de l’action transformatrice, qu’elle n’est pas seulement contemplation mais engagement: par exemple, proposer une certaine vision de la traduction relève d’une prise de position dans la différence (on l’a vu dans le premier article à propos du soi-disant Kamikaze). La seconde est que toute modélisation, toute explicitation, toute rationalisation repose sur une masse considérable de connaissance tacite, sur laquelle elle s’appuie sans pouvoir espérer l’expliciter: par exemple, dire que la lecture d’un texte procède d’inférences à partir d’un ensemble d’instructions mobilise, qu’on le veuille ou non, toute une conception de ce qu’est une instruction.
Cette position théorique se traduit de façon reconnaissable dans la démarche de Fabbri, qui se présente toujours comme une sorte de rhapsodie, à la fois concrète et libre, sur une question théorique, souvent ancrée sur l’analyse approfondie d’exemples: exemples qui sont toujours attestés mais ont été choisis pour leur vertu heuristique, non pour leur représentativité. Il y aurait toute une étude à faire de la rhétorique des sémioticiens. Certains sont littéralement obsédés par la systématicité. Ils semblent ne pouvoir énoncer quoi que ce soit qu’après avoir fait l’inventaire de tous les possibles: ils multiplient donc les typologies pour prendre dans les mailles de leur discours toutes les configurations de sens possibles. Mais ce n’est là qu’une voie parmi d’autres pour la recherche sémiotique. Fabbri est, indiscutablement, héritier de Barthes. Il développe sa recherche comme une écriture. En effet, comme on vient de le voir, tout un travail textuel à la fois intuitif et rigoureux est nécessaire pour fonder les descriptions et initier les démarches. La méthode ne se justifie pas seule, la théorie ne s’applique pas directement aux faits. Sinon, selon la formule de Fabbri, il manque des anneaux à la chaîne: cette association toujours singulière entre posture épistémologique, propositions théoriques, choix méthodologiques et saisies empiriques. Le rapport entre ces quatre niveaux n’est jamais donné d’emblée: il est lui-même le résultat des transformations interprétatives.
Je m’arrête un instant sur le dernier exemple cité, celui du modèle instructionnel, car il est doublement révélateur, d’une position théorique et d’une démarche analytique. On sait le succès que rencontre dans certaines communautés – dont les SIC – le modèle de la coopération interprétative de Eco23. Il est très fréquent, en France, qu’on évoque le «lecteur modèle» pour désigner une réalité beaucoup plus anciennement mise en évidence, par exemple par Aristote: le fait que les participants au processus de communication soient représentés, au sein de ce processus lui-même, par des figures sémiotisées. Mais on oublie souvent que le modèle de Eco prétend bien davantage. Il repose sur une théorie cognitive du raisonnement: le texte comporte des instructions que le lecteur doit exécuter pour qu’advienne le sens, pour qu’il y ait interprétation et non seulement usage. Le modèle – voici un modèle, au sens fort – a une force d’évidence considérable. Fabbri travaille à miner cette évidence. Et ceci parce que, comme on l’a compris, tout ce qui fonde ce modèle lui est étranger24: que la communication serait avant tout l’opération d’optimisation d’un transfert, que les signes correspondraient à des opérations codées, que la lecture serait fondamentalement une opération cognitive. Lui pense, on l’a vu, que les interprétations ne s’alignent pas mais se rencontrent seulement, que le texte a une épaisseur différente de celle d’un code, que la lecture est avant tout quelque chose qui concerne le ressenti du corps. Fabbri ne nie aucun des niveaux de complexité que décrit Eco; mais il refuse d’en rendre compte comme d’un simple système cognitif d’instructions.
La méthode qu’il adopte pour discuter ce modèle est très intéressante. Elle consiste à prendre au pied de la lettre la notion d’instruction et à se demander ce qu’est un texte instructionnel, comme une recette de cuisine, une carte, une prescription. En effet, ce qui agace particulièrement Fabbri est l’idée qu’on accéderait, par le caractère analytique d’un inventaire des instructions, à une machine textuelle parfaitement démontable. Il va donc restituer à la notion d’instruction tout le caractère nébuleux qui définit sa valeur culturelle. Il montre aisément que si on regarde de près en quoi consiste une instruction, on retrouve, à l’intérieur du processus qu’elle nécessite, tout ce que la métaphore de l’instruction paraissait pouvoir exclure du texte, en particulier la dimension d’engagement corporel, d’organisation intersensorielle de l’expérience et d’arrière-plan culturel que le moindre acte de communication mobilise. En somme, à l’idée que le texte serait une simple série d’instructions se substitue le constat que l’instruction présente toute la complexité du texte25.

Jam sessions et agents doubles

Je prendrai, pour finir, deux exemples qui montrent la façon dont Fabbri recourt à des cas limites de la communication pour remettre en cause les modèles à travers lesquels celle-ci est en général pensée. La question peut être posée à partir de l’idée de contrat, déjà rapidement évoquée. Le fait de renvoyer la communication à l’espace du contrat relève, comme Fabbri lui-même le remarque, des liens très forts qui unissent la linguistique, discipline mère, avec la sociologie de Durkheim: une théorie où le social est toujours déjà là pour la communication, où la norme sociale s’impose comme une convention impossible à remettre en cause. Mais si la linguistique a marqué une prédilection durable pour la métaphore théorique du contrat, c’est peut-être avant tout en fonction d’une norme méthodologique. En effet, analyser la communication à partir de contrats (explicités, inventoriés, classés, hiérarchisés) est une façon de faire entrer la complexité des phénomènes liés aux pratiques (enjeux et transformations) dans le texte explicite d’une grammaire26.
Les deux exemples que j’ai retenus, parmi beaucoup d’autres, montrent que Fabbri ne s’intéresse pas au fait de développer une grammaire des types de contrats. Il cherche plutôt à comprendre comment émergent des principes d’interprétation, plus ou moins partagés. Dans la description qu’il propose des processus de communication, les vertus qu’on attribue d’ordinaire au contrat (être explicite, permettre le partage des rôles, établir des normes) peuvent advenir plus ou moins, se déployer ou s’évanouir, en fonction d’un travail dont le processus de communication est lui-même le lieu et le temps. Travail qui, on l’a compris, se développe précisément à la jointure de la dimension sémiotique et de la dimension anthropologique de la communication, dans l’espace de jeu entre donner du sens et produire du lien. Fabbri déploie par exemple cette réflexion en deux métaphores à caractère théorique: aborder le processus de communication à partir de l’improvisation, envisager les participants à ce processus comme des agents doubles.
L’improvisation de jazz, notamment dans ses versions les plus audacieuses, présente l’intérêt de rendre indistincts la production des textes et la régulation des échanges. Elle déjoue totalement l’approche séquentielle et méthodique de la communication, qui suppose d’abord une règle commune des échanges, puis déploie le cours des stratégies: une approche qui est sans doute le point commun de toutes les théories du contrat, par delà leurs différences. Dans l’improvisation, le texte se crée en même temps que s’ajustent les cadres dans lesquels il est produit et même pourrait-on dire, que s’invente le processus de communication lui-même. L’interprétation de ce que chacun produit court le long du processus de production lui-même. C’est pourquoi le jazz ne peut s’analyser en termes purement cognitifs (par exemple selon une théorie de l’induction). Le rythme du corps, plongé dans un espace poly-sensoriel – espace où tous les sens et tous les types de signes interfèrent – est définitoire de ce qui se passe. Le corps de l’interprète (en tous les sens du mot) est à la fois texte et point de vue sur le texte. Impossible, donc, dans ce cadre, de distinguer la règle d’un côté, la stratégie de l’autre: «Le game des règles fixes, écrit Fabbri, ne domine pas l’exécution, il devient par excellence une composante du play»27. C’est pourquoi, pour Fabbri, la pratique de l’improvisation musicale, qu’on pourrait juger particulière, a une portée considérable pour la théorie de la culture (artistique, esthétique, politique). Elle respire en quelque sorte sa propre dimension métacommunicative:

La conversation instrumentale dans le vif, comme la commedia dell’arte, est fortement métacommunicative: elle signale continuellement sa propre avancée aux interlocuteurs, au band et au public. Elle est réflexive en ce qu’elle intègre les réponses et procède à des ajustements et à des corrections.

Ce type de réflexivité, qui produit au sein même des situations, au sein même des textes, comme une interrogation permanente sur le cours même de la communication, est l’une des pistes essentielles que suit l’analyse de Fabbri, à propos de bien des types de situations et de pratiques. Elle correspond à une conception du processus lui-même. La communication n’est jamais coupée de l’horizon d’un partage ou d’une rencontre, mais ceux-ci n’ont pas d’existence ontologique, sous la forme d’une couche cognitive profonde. C’est en quoi la sémiotique de Fabbri est une sémiotique de l’apparence, en acte. Le commentaire qu’il donne de la jam session vise clairement au statut de modèle théorique général de la communication.

L’existence du collectif ne consiste pas à exécuter des codes prescrits dans la mémoire sociale, répétant à la perfection un texte qu’il faudrait réciter à l’identique (comme le voudrait une sociologie durkheimienne) mais, aussi et surtout, à réaliser ensemble, en syntonie, et main dans la main, l’émergence risquée de nouvelles formes de vie.

Le second modèle métaphorique que j’ai choisi d’évoquer ici, celui de l’agent double, est opposé au précédent sur le plan de sa tonalité affective, ce que la sémiotique des passions nomme la «thymie»: à la communauté euphorique des musiciens de jazz correspond le monde des espions, voué à la lutte à mort. Mais la même conception de la communication est en jeu. C’est en effet la même fragilité des apparences qui autorise que la belle ordonnance méthodique du contrat, dont rêvent les amoureux de scientificité, puisse faire place, soit à l’ajustement heureux de l’improvisation, soit à la méprise permanente du double jeu. En conférant à la situation terroriste et guerrière – qu’il a connue à l’heure des brigades rouges – le rôle inattendu de servir de base au rapport entre sémiotique et anthropologie, Fabbri cherche à prendre une distance maximale avec la conception consensuelle de la communication. Celle-ci ne peut être en effet soutenue qu’à condition d’attribuer aux acteurs des dispositions rationnelles très particulières qui le supposent à la fois lucide sur les situations et bienveillant dans l’échange. Le héros de cette sémiotique-là est un individu qui sait dans quel contexte il communique et qui optimise cette communication.
La figure de l’agent double présente des dispositions inverses. Compte tenu des conditions extrêmes dans lesquelles il opère, il doit avant tout raisonner sur les apparences et il ne sait jamais totalement quelles sont les règles des échanges auxquels il participe. L’agent double est en somme constamment dans le labyrinthe: il n’a jamais que des vues partielles sur les situations auxquelles il participe et le renversement y est sans cesse possible, voire probable, entre ce qui ne doit rester insignifiant et ce qui doit faire sens. L’agent double rend anodin ce qui signifie et signifiant ce qui est indifférent, ce qui suppose chez lui un savoir expert d’une précision exceptionnelle sur la façon dont les apparences régissent la communication. Mais il doit aussi, de son côté, se demander sans cesse s’il n’est pas joué ou déjoué par les apparences: si sa pratique n’est pas interprétée autrement qu’il ne le souhaiterait, s’il ne donne pas à ses propres interprétations un cadre inapproprié. La conscience du caractère multiple et spéculaire des horizons de communication, que l’agent double expose avec une conscience consommée parce que pour lui, c’est affaire de vie ou de mort, est, suggère Fabbri, une bonne entrée dans les petits enjeux de la communication quotidienne.
L’intérêt de la figure de l’agent double est donc qu’elle rive littéralement la communication au mouvement des objets et des corps, aux logiques de l’apparence, et qu’elle fait ainsi l’économie de doter a priori les sujets et les groupes de clefs limpides de lecture de la communication. On peut dire qu’elle rompt vraiment avec la figure de la télépathie qui, via la télécommunication, hante les sciences du langage. La question de la normalité, essentielle dans les sémiotiques du contrat, n’est pas pour autant absente d’une sémiotique de la duplicité. Mais le normal, toujours recherché et toujours traqué dans la pratique, ne peut émerger que de la surface des choses (du jeu des regards, du bougé des gestes). C’est pourquoi la normalité est aussi ce qui menace de rendre la communication impossible.
Pour les chercheurs en sciences de la communication, l’analyse de Fabbri rejoint alors, étrangement, celle d’un auteur fondateur des cultural studies, Richard Hoggart, souvent très mal lu, à partir de la traduction française, très infidèle, qui a été donnée de son livre Uses of literacy. Hoggart aborde la situation très particulière des publics populaires face aux productions de l’industrie des médias et du divertissement, qui sont travaillées à dessein pour s’adapter parfaitement à leurs attentes, tout en les orientant dans le sens d’intérêts de marché culturel. Il montre que cette situation ne peut être analysée dans une simple alternative entre soumission à l’endoctrinement et liberté du «récepteur». Il explique en effet qu’un mixte de jouissance et de défiance est la seule attitude possible devant ces spectacles. Cette défiance, qui fait regarder avec une sorte particulière d’ironie (au sens étymologie: d’interrogation) tout ce qui prétend à la vérité, n’est pas sans parenté avec celle de l’agent double. Mais elle ne permet pas davantage d’aboutir à une certitude sur ce que serait le vrai fond de l’échange. La défiance du peuple vis-à-vis de ce qu’il sait qu’il doit suspecter, parce qu’il a été produit à dessein, n’équivaut nullement, pour lui, à une compétence de lucidité critique. Savoir qu’on peut être joué ne donne pas accès à la règle du jeu. L’ironie prudente des publics laisse seulement en suspens leur adhésion à ce qui relève d’un vouloir-faire qui restera hors d’atteinte. On voit ici l’actualité politique de l’approche théorique que Fabbri a eu le mérite d’expliciter dans ses dernières conséquences.
Si Fabbri propose une interrogation radicale sur le processus de communication, c’est donc parce qu’il donne un statut essentiel à l’apparence des textes et des pratiques. L’apparence, c’est-à-dire ce qui s’offre à l’interprétation et à la transformation, sans jamais se laisser entièrement décrypter, organise toute la communication, en tant que réalité concrète sur laquelle se règlent toutes les conduites. Mais si la traduction assure en permanence la circulation et la réappropriation des textes, aucune transitivité ne garantit, en profondeur, l’orientation de ce processus.

Questions vives

Ce bref parcours, en deux articles, dans l’œuvre du sémioticien italien laisse de côté des questions très importantes, par exemple l’effort qu’il a développé pour affranchir la théorie de l’énonciation de sa définition purement linguistique ou l’explicitation qu’il a donnée de la notion de stratégie. Je voudrais, pour finir, indiquer quelques questions que cette sémiotique laisse ouverte. Non formuler une critique, impossible à développer dans cet espace, mais relever précisément quelques provocations qui nous concernent, quelques difficultés dont Fabbri nous fait en quelque sorte le cadeau.
Il me semble d’abord que nous n’avons pas tiré tout le bénéfice du point de vue de Fabbri en ce qui concerne l’analyse des pouvoirs en jeu dans les processus d’information et de communication aujourd’hui. Le couple de l’hétérogénéité et de la traduction (ou plus largement, selon sa formule, de la transduction) définit la communication comme un processus dynamique, mais fortement orienté par l’inégalité des ressources sémiotiques. La dite «mondialisation» se laisse bien analyser dans la perspective de Fabbri comme un processus contradictoire, qui, d’un côté, ouvre la perspective d’une traduction mutuelle des univers sémiotiques (traduction qui, on s’en souvient, affecte les deux systèmes sur lesquels elle porte, celui qui traduit et celui qui traduit) mais qui n’en impose pas moins d’un autre côté des cadres de perception, des connaissances tacites, des systèmes d’expression. L’extension de l’écriture informatique, en particulier, peut être considérée comme un processus de transduction permanente des productions culturelles, aboutissant à une forme de fixation d’hypothèses perceptives, conceptuelles, poétiques particulières.
Cela pourrait suggérer que l’enquête de Fabbri s’ouvre sur certaines questions théoriques que ses propres références ne prennent pas entièrement en charge. On a vu, dans le premier article, comment la sémiotique pouvait prétendre au statut d’organon au service d’une anthropologie des sciences: la rhétorique des scientifiques peut être regardée d’un point de vue stratégique, voire polémologique, comme la construction d’une chaîne de ressources, à la fois objets et signes, permettant en quelque sorte d’arrimer au réel de l’expérience le discours des chercheurs et la sémiotique apporte à cette démonstration ses outils d’objectivation. A plusieurs reprises, ensuite, Fabbri reprendra à Latour l’idée d’une chaîne d’actants, humains et non humains, qui lui permet de fabriquer un réseau de liens: à l’intersubjectivité (relation entre sujets) vient se mêler une inter-objectivité (relation entre objets) qui permet d’associer les objets (non humains) et sujets (humains) en un continuum. Il me semble que la nature de ces liens reste largement à définir. Chez Latour, la figure de la chaîne renvoie clairement à une lecture pleinement stratégique du social: l’acteur y est producteur de sa propre sociologie, il «fait tenir ensemble» un réseau d’acteurs grâce à un réseau d’objets. Il me semble que la sémiotique des apparences, où l’interprétation joue un rôle clef, ne coïncide que provisoirement avec cette logistique du réseau social. La conjonction pourrait n’être que conjoncturelle. Une sorte de «compromis historique». En effet, derrière la figure de la chaîne – qui resterait à démythifier comme celle du contrat – se cachent deux questions épistémologiques essentielles: celle de la construction des contenus de connaissance, qui ne sont pas seulement des positionnements d’acteurs, celle de la nature des liens, qui ne sont pas seulement des soudures entre les objets. Distinguer, parmi les objets, ceux qui interviennent parce qu’ils sont investis de sens et ceux qui en outre interviennent dans les formes de la communication (les médias) serait sans doute nécessaire pour ôter à cette référence à l’interobjectivité son caractère un peu magique. Mais, il faut le dire, Fabbri ne s’intéresse pas particulièrement aux dispositifs médiatiques.
Peut-être faut-il alors, non pas contester les partis pris très marqués de Fabbri, mais plutôt comprendre quels sont les effets de ces partis pris dans la compréhension du processus de communication. Sa radicalité est radicale dans une certaine conjoncture intellectuelle. Parmi ces traits figurent le primat du processus sur les objets, la volonté d’entrer dans la communication par le faire interprétatif et manipulatoire, mais aussi la valorisation des logiques agonistiques, le fait d’aborder toujours d’abord la communication comme un combat. Ces partis pris permettent à Fabbri, on l’a vu, de lutter contre des croyances fermement ancrées dans le travail sémiotique, la chosification du signe et la valorisation du consensus. Les exemples de Fabbri expriment ces deux partis pris et ceci, notamment, parce qu’il choisit sans cesse ses objets d’analyse dans le cadre d’une visée argumentative liée aux batailles qu’il livre lui-même. La sémiotique de Fabbri décrit donc un monde où les interactions dynamiques, en situation, sont privilégiées, plutôt que l’inscription, la bibliothèque, le monument; elle est peuplée d’acteurs qui sont hantés par leur préservation, leur pouvoir, leur survie, plutôt qu’occupés à engendrer une vision du monde.
C’est donc la question du reste que laissent ces analyses qu’on peut poser pour finir. Non pas, bien entendu, pour suggérer une sémiotique plus vraie, mais pour situer mieux quel est le savoir que celle-ci élabore et, inversement, laisse plutôt de côté. Prenons deux déclarations déjà citées de Fabbri pour poser cette question.
Il écrit, avec Latour: «On étudie toujours la science en termes spéculatifs, comme une activité tournée vers la nature. Nous avons inversé ce rapport et considéré la production scientifique, en termes militaires, comme une série d’opérations tournées vers ce champ d’étude»28. La polémologie apparaît ici comme une réponse aux idéalisations de la science. Mais donne-t-elle toute la mesure de ce que l’analyse sémiotique peut apporter à l’étude du travail scientifique? La réflexion épistémologique proposée par Fabbri en ce qui concerne le signifiant du monde ouvrirait, parallèlement ou contradictoirement, la perspective d’une construction des objets de connaissance par le travail de l’expression. D’où une question plus générale: des deux thèses que comporte la sémiotique de l’apparence, refus de la transitivité des contenus, privilège d’un éthos guerrier, le second est-il nécessairement impliqué par le premier? Je n’en suis pas sûr.
La même question (où réside la réelle radicalité?) peut être posée à propos de l’analyse de l’improvisation présentée plus haut. Les propositions négatives, ici aussi, marquent un positionnement dans la discussion théorique. J’extrais une courte formule: «L’existence du collectif ne consiste pas à exécuter des codes prescrits dans la mémoire sociale, répétant à la perfection un texte qu’il faudrait réciter à l’identique». Fabbri exclut ici l’hypothèse de l’instruction, liée à la méthodologie cognitive. Le sujet de la communication ne reproduit pas à la perfection (a puntino, point par point) un code préexistant. Mais qu’en est-il de la mémoire sociale? Est-elle pour autant absente de ce qui advient? Bakhtine prétendait, pour sa part, que la communication est possible dans la mesure où existent des genres, des catégories héritées de l’histoire, qui en rendent le cours interprétable. Fabbri ne le nie pas. Sa posture théorique, qui décrit bien le processus de fixation et d’assouplissement des normes sémiotique pourrait donc être convoquée face à sa pratique de sémioticien, qui accorde son attention, par excellence à ce qui passe, se transforme, s’évanouit au moment où on veut le saisir.
Mais ce que Fabbri privilégie ou néglige définit aussi son esthétique, qui est la part vivante de son art.


Note

  1. Yves Jeanneret, «La provocation sémiotique de Paolo Fabbri: 1 Babel heureuse ou malheureuse», Communication & langages, n° 146, décembre 2005, p. 129-142. torna al rimando a questa nota
  2. Pour Bakhtine, le thème est le sens que prend un énoncé dans une situation d’interaction déterminée; il est une élaboration contextuelle et historique de la signification, qui est seulement un potentiel de sens, un état plus ou moins fixé des conventions liées à la langue. La signification correspond à la langue comme système, à ceci près que le caractère cohérent de ce système est toujours remis en question et n’apparaît que provisoirement à un individu placé dans une situation sociale donnée. Cette formule exprime donc, chez Bakhtine, le fait que les structures de la langue ne sont jamais qu’un résultat historique des processus d’interaction par lesquelles elles s’élaborent dans le temps long. torna al rimando a questa nota
  3. Mikhaïl Bakhtine, Le marxisme et la philosophie du langage, Paris, Éditions de Minuit, 1977 [1929], p. 147. torna al rimando a questa nota
  4. Cf. Yves Jeanneret, Op. cit., p. 140. torna al rimando a questa nota
  5. Cf. sur ce point dans l’article précédent, «l’éloge de Babel, une posture théorique sur la communication», dans Yves Jeanneret, «La provocation sémiotique de Paolo Fabbri», op. cit., p. 134-138. torna al rimando a questa nota
  6. Mikhaïl Bakhtine, Op. cit., p. 101. torna al rimando a questa nota
  7. Je rappelle que ce terme désigne, notamment chez Derrida, le fait de ramener toute pensée et tout échange à la parole, et, par la parole, à l’intentionnalité d’une conscience. torna al rimando a questa nota
  8. «Le dialogue, au sens étroit du terme, ne constitue, bien entendu, qu’une des formes, des plus importantes il est vrai, de l’interaction verbale. Mais on peut comprendre le mot «dialogue» dans un sens élargi, c’est-à-dire non seulement comme l’échange à haute voix et impliquant des individus placés face à face, mais tout échange verbal, de quelque type qu’il soit» (Op. cit., p. 136). torna al rimando a questa nota
  9. Mikhaïl Bakhtine, «La question du texte», dans Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard, 1979 [Posth], p. 311-338. torna al rimando a questa nota
  10. Roland Barthes, «Par où commencer?», Poétique, n°1, 1970. Repris dans œuvres complètes, vol. 4, p. 87. torna al rimando a questa nota
  11. Paolo Fabbri, La svolta semiotica (Le tournant sémiotique), Roma-Bari, Laterza, 2001 [1998], p. 21. torna al rimando a questa nota
  12. Je traduis par ««élémentaire» le terme «ultimo» (ultime, c’est-à-dire impossible à diviser). torna al rimando a questa nota
  13. Op. cit., p. 22. torna al rimando a questa nota
  14. Jean Davallon et Yves Jeanneret, «La posture épistémologique, un geste pratique», actes du 15ème congrès des sciences de la communication, Bordeaux, juin 2005, XXX. torna al rimando a questa nota
  15. Jean Davallon, «Objet concret, objet scientifique, objet de recherche», Hermès, n° 38, 2004, p. 30-37 torna al rimando a questa nota
  16. Paolo Fabbri & Nicola Dusi, «Due parole sur trasporre» (deux mots sur la transposition), dans Elogio di Babele: traduzioni, trasposizioni, trasmutazioni, Roma, Meltemi, 2003, p. 190-192. La possibilité donnée par l’italien de substantiver l’infinitif souligne le caractère de processus («le transposer») de ce qui est en jeu. torna al rimando a questa nota
  17. Ibid., p. 192. torna al rimando a questa nota
  18. Paolo Fabbri, «Il significante del mondo» (le signifiant du monde) dans Semiotica in nuce, vol. 2, Roma, Meltemi, 2002, p. 328. torna al rimando a questa nota
  19. Paolo Fabbri a organisé dès 1991 avec Julien Greimas et Jacques Fontanille le premier séminaire sur la sémiotique du sensible. torna al rimando a questa nota
  20. «Thoughts on the nude body», dans P. Weiermaier, dir., Il nudo tra ideale e realtà, Milan, Artificio Skira, 2004. torna al rimando a questa nota
  21. Yves Jeanneret et Valérie Patrin, «La métaphore du contrat», Hermès, n° 38, 2004, p. 133-140. torna al rimando a questa nota
  22. «Semiotica: se manca la voce» (sémiotique: il manque le mot) dans Duranti, Alessandro, dir., Cultura e discorso: un lessico per le scienze umane, Roma, Meltemi, 2002. torna al rimando a questa nota
  23. Umberto Eco, Lector in fabula: la coopération interprétative dans les textes narratifs, XXX. torna al rimando a questa nota
  24. Il serait plus exact de dire que, dans la marge d’ambiguïté que comporte la sémiotique de Eco, Fabbri radicalise le versant cognitif, comme d’ailleurs les théoriciens réductionnistes du naturalisme social, qui revendiquent pour cette raison l’œuvre du sémioticien de Bologne. torna al rimando a questa nota
  25. Paolo Fabbri, «Istruzioni e pratiche istruite», (instructions et pratiques instruites), colloque «le pratiche semiotiche: la produzione e l’uso», San Marino, 2005. Repris dans la revue E/C, revue en ligne de l’association sémiotique italienne: www.associazionesemiotica.it. torna al rimando a questa nota
  26. Yves Jeanneret et Valérie Patrin, op. cit. torna al rimando a questa nota
  27. Paolo Fabbri: «Jazz: l’improvviso et la sprovista». torna al rimando a questa nota
  28. Paolo Fabbri et Bruno Latour, «La rhétorique de la science: pouvoir et devoir dans un article de science exacte», Actes de la recherche en sciences sociales, 1971, n° 13, p. 93. torna al rimando a questa nota
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